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Andreas Sohn : Von der Residenz zur Hauptstadt. Paris im hohen Mittelalter

Caroline zum Kolk

Comment citer cette publication :
Caroline zum Kolk, "Andreas Sohn : Von der Residenz zur Hauptstadt. Paris im hohen Mittelalter", Paris, Cour de France.fr, 2013 (https://cour-de-france.fr/article2734.html). Compte rendu publié le 1er mars 2013.

Andreas Sohn, Von der Residenz zur Hauptstadt. Paris im hohen Mittelalter, Thorbecke, Sigmaringen, 2012, ISBN : 978-3-7995-0734-9, € 26,00.

Depuis 2008, l’itinérance de la cour et l’usage qu’elle fit des lieux de résidence, villes et palais, comptent parmi les thèmes privilégiés de l’association Cour de France.fr. À côté d’articles, nous avons entrepris la publication d’itinéraires royaux ; les premiers qui ont été mis en ligne concernent le XVIe siècle (Catherine de Médicis en 2008, Henri III en 2011 ; François Ier et Henri II suivront cet été). Le dépouillement d’itinéraires médiévaux dans le cadre d’un projet dirigé par Boris Bove et financé par la Maison de l’archéologie de l’ethnologie est en cours.
Les discussions que nous avons menées au sujet de la place de Paris dans l’itinérance et dans la vie curiales sont à l’origine d’un colloque international qui aura lieu en mai 2014 [1]. Une autre manifestation se tiendra la même année sur l’évolution de l’itinérance de la cour de France, du Moyen Âge au XIXe siècle.

On comprend l’intérêt que suscite dans ce contexte la publication du livre Von der Residenz zur Hauptstadt d’Andreas Sohn, professeur d’histoire médiévale à l’université Paris XIII. L’auteur, spécialiste de l’histoire urbaine et religieuse de Paris, étudie dans ce livre l’évolution du statut de Paris qui devint capitale dans le courant des XIe et XIIe siècles.
Le livre commence par un bref survol de l’historiographie qui permet à Sohn d’épingler un constat erroné mais assez répandu qui attribue à Paris la fonction de capitale dès l’avènement des Capétiens. L’auteur se montre assez sévère au sujet de la recherche française qui aurait délaissé la thématique de l’itinérance et de la formation des capitales, contrairement aux historiens allemands. Il aurait été utile d’exposer les raisons de cette situation, l’importance particulière du sujet pour l’histoire de l’Allemagne : l’administration de l’Empire a reposé plus longtemps que celle du royaume de France sur l’itinérance de la cour et plusieurs villes y ont joué le rôle de capitale. La recherche française n’a pas pour autant ignoré ces questions. Elle les a traitées dans le cadre d’études de palais royaux ainsi que dans les recherches sur l’histoire parisienne ; l’auteur cite par ailleurs fréquemment R. H. Bautier, J. Favier, M. Fleury, S. Roux et d’autres spécialistes de cette thématique.

La définition d’une capitale que propose A. Sohn prend en compte quatre facteurs, à savoir le domaine politique/administratif, économique, religieux et culturel. Paris se développe dans ces secteurs du XIe au XIIIe siècle et conquiert à cette époque la première place dans la hiérarchie des villes du royaume. L’auteur présente les différentes étapes de cette évolution. Sous les Mérovingiens, Paris compte parmi les lieux privilégiées du pouvoir. Sous Clovis, elle peut être considérée comme capitale du royaume, mais cette prééminence est de courte durée et s’éteint avec la dynastie suivante. Les Carolingiens n’en font pas un lieu de séjour régulier et les premiers Capétiens délaissent également la ville ; les itinéraires très lacunaires d’Hugues Capet (16 notions de lieux) et de Robert II (61 notions de lieux) illustrent la place privilégiée d’Orléans qui est confirmée par d’autres textes. Sous Robert II, la présence régulière de la cour mène à l’essor de la ville et du monastère de Fleury qui est doté de privilèges importants. Abbo de Fleury, son abbé, est désigné comme primus inter abbates Gallie et sert de conseiller au roi ; un moine de Fleury, Helgaud, rédige la vita du roi. Cent ans plus tard, le monastère de Saint-Denis remplit des fonctions similaires pour Louis VI ; A. Sohn remarque que dans les deux cas, la couronne privilégie un monastère et non pas un évêché, signe du caractère rural de la société.
La primauté d’Orléans s’explique par sa situation géographique et politique, puisque la famille des Robertiens avait gouverné la ville sans interruption depuis plusieurs générations et a su y établir ses fidèles, ce qui n’était pas le cas de Paris.

Les évènements qui suivent la conclusion du contrat de Saint-Clair-sur-Epte (911) changent la donne à partir du milieu du XIe siècle. Après une période de paix, les relations avec le duc de Normandie se dégradent avec l’expansionnisme de Guillaume II qui mène en 1066 à la conquête de l’Angleterre. L’Epte fait figure de frontière névralgique entre le duché de Normandie et les terres des Robertiens ; des deux côtés du fleuve des forteresses sont construites.
Cette guerre, qui s’achève avec la conquête de la Normandie par Philippe Auguste en 1204, provoque l’abandon progressif d’Orléans au profit de Paris, située plus près de la zone de combat. Le processus commence sous Henri Ier et s’achève sous Louis VI. Sous le règne de ce dernier, Paris peut être considéré comme la capitale du royaume.

A. Sohn privilégie ainsi l’explication militaire à l’explication politique et religieuse donnée par Jean Favier et d’autres chercheurs, qui estiment que la préférence accordée à Paris au XIIe siècle résulte des relations étroites qu’entretient Louis VI avec le monastère de Saint-Denis. Pour l’auteur, le lien privilégié avec ce monastère n’était pas l’origine mais un des effets du changement de résidence.

L’importance du monastère de Saint Denis dépasse au milieu du XIIe siècle celle que revêtait le monastère de Fleury au XIe siècle. L’alliance capétienne avec le monastère (qui avait servi de lieu d’enterrement aux rois de cette dynastie dès leur avènement) se renforce dans les années 1119-1124, marquées par une crise sans précédent à la suite de la défaite royale de Brémule. Suger, abbé du monastère de Saint-Denis, compte maintenant parmi les conseillers les plus écoutés du roi qui confie en 1120 les regalia à l’abbaye et qui désigne Denis la même année comme patron du royaume. En 1124, le roi prend le statut d’un vassal de Saint-Denis pour le Vexin et prend la bannière de cette terre, l’oriflamme. A. Sohn suit peut-être trop fidèlement la Vita de Louis VI, rédigée par Suger, quand il insiste sur l’importance de cette soumission royale au monastère car la réalité et la portée du statut vassalique du roi posent problème ; les documents l’attestant sont peu nombreux et émanent pour la plupart du scriptorium du monastère. A. Sohn évoque par ailleurs le cas d’un faux, attribué à Charlemagne mais produit par les moines, par lequel ils tentent d’établir durablement la soumission du roi à Saint-Denis.

Paris se transforme également dans ces années. Entre 1000 et 1300, la population se multiplie par 50, voire 70 : de 3000 ou 4000, la ville passe à 200 000 habitants, une croissance inouïe que ne connaît aucune autre ville en Europe.
A. Sohn suit l’évolution de la ville en commençant par les effets de l’installation de la cour qui mène à l’agrandissement du palais royal sur l’Ile de la Cité et à la dotation de la ville en fortifications. Les travaux les plus importants ont été menés par Louis VI et Philippe Auguste. Au XIIIe siècle, la Sainte-Chapelle complète ce dispositif ; elle devient le modèle le plus imité de l’architecture religieuse royale et le centre spirituel du pays par la distribution d’une partie de ses reliques à d’autres villes du royaume.
Les résidences des grands seigneurs ecclésiastiques se multiplient au XIIe siècle près de l’Ile de la Cité, généralement sur la Rive Gauche. Sous Saint-Louis éclosent les premières résidences princières, d’abord sur la Rive Gauche, ensuite autour du Louvre.

Avec la conquête de la Normandie en 1204 s’ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire économique de la ville. L’axe Paris-Rouen s’anime ; la capitale se situe maintenant au cœur d’un axe qui relie l’Europe du Nord à l’Europe du Sud. Paris profite en outre de la présence de la cour qui stimule le commerce de luxe, et de plusieurs mesures et privilèges royaux, dont celui qui attribue à la ville le monopole du commerce fluvial jusqu’à Mantes. Au XIIIe siècle éclôt le secteur de la finance, stimulé par le grand commerce et les besoins pécuniaires de la couronne et des grands.

En ces années, Paris devient aussi le centre religieux du royaume. L’accroissement de la population donne une importance accrue à l’évêque de Paris qui se trouve à la tête de l’évêché le plus peuplé du royaume. Le XIe siècle voit apparaître les paroisses et trois archidiaconés. Leur gestion nécessite un clergé nombreux et bien formé ; les collèges se multiplient au siècle suivant. La formation de l’université au début du XIIIe siècle en résulte ; elle accroît la réputation de l’église parisienne. Contrairement à ses collègues en province, l’évêque de Paris profite en outre de la proximité du roi et de sa cour.

Dans le domaine culturel, A. Sohn se concentre essentiellement sur l’université de Paris dont il retrace l’histoire. La qualité de son enseignement et le caractère novateur de celui-ci lui permettent d’évincer les écoles cathédrales qui ont dominé l’enseignement jusque-là. Composé de collèges (dont une partie est autonome) et doté d’un personnel d’enseignants d’origine internationale, l’université attire rapidement les étudiants de tous les pays de l’Occident. La protection royale, l’extension des matières enseignées et divers privilèges lui permettent de conserver son attractivité au XIIIe siècle et au-delà. Avec l’université se développent en outre les métiers du livre et de l’écrit.

A. Sohn, qui a publié de nombreuses études sur le prieuré de Saint-Martin-des-Champs, termine sa description avec un chapitre consacré à l’avènement du style gothique en Ile-de-France, considéré par les contemporains comme un « art royal ». L’auteur traite de manière assez curieuse le rôle de Saint-Denis, qui est considéré par beaucoup d’historiens de l’art comme la construction qui a « lancé » le style. Sohn considère le chœur de Saint-Martin-des-Champs comme le premier bâtiment gothique, mais admet quelques lignes plus loin que la chronologie de cette construction reste incertaine. Le chevet de Saint-Denis, élevé par l’abbé Suger de 1140 à 1144, est évoqué ensuite mais traité en quelques lignes seulement ; l’auteur n’évoque en rien le lien important que cette construction entretient avec la royauté, d’une part par les multiples fonctions du monastère (pourtant si bien décrits dans un chapitre précédent), d’autre part par l’iconographie (vitraux dédiés à Charlemagne ou présentant l’arbe de Jessé, statues des rois et reines de l’Ancien Testament dans les portails, etc.) et les festivités qui se sont déroulées lors de la dédicace, célébrée en présence du roi et de la cour. Il est difficile de ne pas voir dans le chevet de Saint-Denis (d’une architecture plus aboutie et plus spectaculaire que celle du choeur de Saint-Martin-des-Champs) l’édifice qui donna au style gothique le sigle d’art royal, et qui servit de modèle aux constructions ultérieures. Mais cette question est autant vaste qu’ancienne et ne sera probablement jamais tranchée.

Le livre d’Andreas Sohn présente un récit concis et précis de l’évolution parisienne du Xe au XIIIe siècle et fournit de nombreuses réponses à la question de savoir comment et pourquoi Paris est devenue la capitale du royaume de France.

Notes

[1Colloque organisé par Boris Bove, Cédric Michon et Muriel Gaude-Ferragu ; son programme paraîtra bientôt sur Cour de France.fr.