Le costume d’Élisabeth de Valois, reine d’Espagne, vers 1560
Sylvène Édouard
Comment citer cette publication :
Sylvène Édouard, Le costume d’Élisabeth de Valois, reine d’Espagne, vers 1560, Paris, Cour de France.fr, 2012 (https://cour-de-france.fr/article2178.html). Article inédit mis en ligne le 1er janvier 2012.
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Les recueils d’habits du XVIe siècle, comme celui de François Deserps en 1564, dont certaines figures furent réutilisées pour le Civitates Orbis Terrarum de Georg Braun et Franz Hogenberg en 1572, soulignèrent le rapport étroit entre le costume et la coutume pour signifier une identité commune [1]. Si le drapé du chevalier se distingue de la cape du gentilhomme pour dire toute la fonction sociale du costume, celui-ci permet surtout d’établir des frontières entre les peuples pour montrer les différentes coutumes vestimentaires d’une province à l’autre, le type du bourgeois allemand n’étant pas celui du bourgeois parisien. Le recueil de Deserps souligne même la perméabilité des modes, en ce que la demoiselle française ressemble fort à l’Italienne. En établissant des stéréotypes, ces illustrations insistent sur le vêtement en ce qu’il est la matière même d’une identité collective, fixée par des normes et des valeurs [2].
Dans le monde de la cour, l’apparence de la reine n’échappait pas à cette fonction identitaire, puisqu’elle avait un devoir de représentation permanente à travers un paraître qui devait faire sens. Dans le cas d’Élisabeth de Valois, fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, tout ce qu’elle incarna (ses origines, son hispanité récente et surtout sa majesté) fut rendu visible par ses atours. Ses nombreux portraits, témoignant du luxe nécessaire à la personne royale, ne constituent pas pour autant une source objective pour rendre compte de son apparence, étant eux-mêmes un medium du pouvoir, un discours sur la nécessité du paraître espagnol à la cour de Philippe II. Il est donc nécessaire de les confronter à d’autres témoignages, comme les lettres, les mémoires et les livres de comptes qui offrent des regards différents.
Répondant à la question de l’hispanisation d’une princesse française au sein de la cour d’Espagne, le propos de cette contribution consistera à croiser différents regards sur le costume mais sans isoler ce dernier des autres conditions d’intégration de la nouvelle reine. La nécessité, pour elle, de paraître telle une reine d’Espagne, impliquait un processus d’adaptation dont il convient d’apprécier ici tous les tenants et aboutissants : Peut-on parler déjà d’une ritualisation du transfert à une autre cour par le changement de costume ? Qu’impliquait réellement le transfert d’une cour à l’autre ? Et son hispanisation, par le costume, fut-elle pérenne ? Autant de questions et plus encore qui nécessitent une documentation précise faisant souvent défaut, sauf pour les années 1560 et 1561, essentielles pour Élisabeth de Valois dans l’apprentissage de son hispanité et au cours desquelles l’intérêt des contemporains pour son apparence donna lieu à de nombreux commentaires. Les premiers mois de la reine à la cour d’Espagne seront donc au cœur de ce propos.
L’hispanisation de la reine, un rite ?
Si la question des modalités de transfert des reines dans leur nouveau royaume, surtout au cours de la première modernité, est relativement absente du discours des historiens, celle des rites d’intégration est toutefois présente dans les études d’anthropologie, définissant le mariage comme un rite de passage de l’épouse dans la maison de son mari, en démontrant que ce rite pouvait être matérialisé par un don de vêtements [3]. Au XVIe siècle, le rite d’intégration dans une autre Maison royale s’en tenait à des usages assez communs et peu formalisés. Cependant, le transfert impliquait déjà une métamorphose passant par
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l’abandon du costume et pouvant consister aussi en la suppression du personnel d’origine. Ces deux nécessités avaient chacune leur logique propre, celle du paraître et celle de l’être.
Le costume comme frontière symbolique
Le costume permet de spécifier l’intégration du corps à un autre corps par des signes distinctifs. Cette tradition consistant à habiller l’épouse, pour la marquer de sa nouvelle appartenance, fut souvent ritualisée comme en témoigne la dernière nouvelle du Decameron de Boccace. Au milieu du XIVe siècle, l’auteur italien contait ainsi l’histoire d’une jeune fille pauvre du nom de Griselda qui épousa un baron. Lors de la cérémonie de l’anneau, elle se présenta nue à son futur époux et le jour des noces, le baron vêtit Griselda devant tous ses vassaux. Lorsque plus tard il se sépara de son épouse, il la renvoya chez elle avec pour seul vêtement une chemise. Christiane Klapisch-Zuber a souligné l’adéquation de ce conte moral avec les pratiques dotales en vogue dans l’Italie du XVe siècle. Les époux ou les beaux-pères utilisaient une partie importante de la dot de la mariée pour la vêtir, la parer de bijoux et meubler la chambre des époux. Il pouvait aussi s’agir de dons de vêtements qui ne cessaient alors d’appartenir à l’époux et que la femme, en cas de veuvage, ne pouvait conserver que par legs testamentaire [4]. Le don accompli par l’homme était ritualisé pour signifier et matérialiser à travers le costume, le passage de la maison d’origine à celle de l’époux.
Dans le cas des noces royales, le transfert impliquait non seulement le passage à une autre maison mais aussi à une autre nation, faisant coïncider le changement de costume avec celui de coutume. La pratique relevait ainsi d’un rite d’agrégation conférant une nouvelle identité qui passait nécessairement par une dépossession de son soi d’origine - en quittant le costume - à une nouvelle possession par l’époux. Les mariages royaux pratiquèrent cette forme d’abandon du soi d’origine, comme ce fut le cas pour Marie de Médicis [5]. La nouvelle reine de France ne fut cependant pas métamorphosée dans l’immédiat. Elle s’habilla à l’italienne pour le mariage par procuration à Florence le 5 octobre 1600, puis elle se fit représenter en Italienne dans son premier portrait de reine de France et elle apparut encore en princesse italienne à ses sujets français venus l’accueillir dans le port de Marseille ou encore à Avignon. D’après Jean-François Dubost, ce ne fut qu’à partir de 1601, que la reine de France adopta le costume français avec son large décolleté, mettant ainsi en relation la naturalisation par le costume et le statut de reine accomplie par la naissance du Dauphin. Désormais Marie de Médicis ressemblait à une reine de France et en établit même le stéréotype avec « le corsage décolleté et le collet de dentelle » [6]. En revanche, sa fille aînée Élisabeth de France prit l’apparence d’une princesse d’Espagne dès 1615, tandis que Marie-Thérèse d’Autriche subit cette métamorphose au cours de son mariage pour être en phase, selon les vœux de sa tante Anne d’Autriche, avec le paraître du corps politique bourbon. Le costume à la façon des Bourbons était alors compris comme un langage nécessaire à l’accomplissement d’un dialogue entre les deux époux. Il devenait aussi la marque d’une appropriation et d’un triomphe, celui des Bourbons sur les Habsbourg [7].
Qu’en fut-il au milieu du XVIe siècle ? Le transfert d’Élisabeth depuis la cour de France à la cour d’Espagne fut ritualisé d’une certaine façon par le changement circonstanciel de vêtements, mais le rite n’était pas formalisé comme il le fut pour Marie-Antoinette en 1770. Lorsqu’elle arriva à Saint-Jean-Pied-de-Port, le dernier jour de décembre 1559, avec son entourage français, elle et ses dames portaient le deuil du roi son père. Son nouveau maître de salle, Lope de Guzman, l’attendait sur place avec le greffier du roi, muni de douze mille ducats pour les frais du voyage jusqu’à Guadalajara, où elle devait officiellement épouser le roi d’Espagne [8]. Le maître de salle était en charge d’établir la reine dans la pratique d’une étiquette nouvelle.
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Élisabeth, avant même de passer les Pyrénées, s’accoutumait donc aux mœurs de son nouveau royaume et ce ne fut pas par hasard que le 2 janvier suivant, elle quitta le deuil. Cet habit marquait ostensiblement l’appartenance à la Maison de France avec cette volonté d’honorer le défunt, en cela il imposait une frontière symbolique entre son passé de princesse de France et son devenir de reine d’Espagne. Au terme de son voyage, elle ne devait plus paraître comme étant la fille du feu roi Henri II mais comme étant désormais l’épouse du roi Philippe II. Sans rituel précis de dépossession par l’abandon du costume et le parement du nouveau en public, Élisabeth se présenta simplement « dans un accoustrement […] a l’espagnolle, de velours noir, garny de gestz [jais], et sa coiffeure de vollant à la lorraine » [9]. Elle se présenta selon la mode espagnole, et le 7 janvier, partant pour Pampelune, elle était encore « vestue d’une robe de velours noir à l’espagnole passementée d’argent, et coiffée d’une petite tocque » [10]. Il est important de noter que ce changement ne fut pas le fait de la reine seule mais de toute sa suite de dames également qui formait un seul corps avec celui de la reine.
Le deuil permit cinq ans plus tard de restaurer l’identité française de la reine d’Espagne. Élisabeth se rendait à Bayonne pour rencontrer ses frères et sa mère. Au passage de la frontière, la reine monta une haquenée harnachée de velours noir « où se trouvait le chiffon du roi Henri II son père » [11]. Elle-même ne portait pas directement cette marque de deuil mais l’harnachement du cheval signifiait qu’elle se présentait alors en fille de France à sa mère Catherine. Son frère le roi Charles IX l’attendait du côté français et au moment de passer le cours d’eau, elle se couvrit des couleurs du roi de France par un drap azur et doré. Cette parure faisait sens pour l’introduire dans le camp français moins en reine d’Espagne qu’en ambassadrice et parente. La signification du deuil, par le costume ou le port d’une écharpe, ainsi que le port symbolique des couleurs de France, marquaient ou restauraient une identité française qui fut largement combattue à la cour d’Espagne dès l’arrivée d’Élisabeth en janvier 1560.
Le problème de l’entourage français
Le costume français, comme la présence de l’entourage français, pouvait apparaître comme un frein à la bonne hispanisation d’Élisabeth. Les premiers mois de la jeune reine à la cour de Philippe II furent donc marqués par de considérables modifications dans son entourage.
Lorsqu’elle arriva à Roncevaux au début du mois de janvier 1560, elle était accompagnée d’une nombreuse suite qui devait la servir en Castille. Cet entourage français, à l’exception du médecin et de quelques musiciens d’origine italienne, représentait environ cent soixante personnes [12]. Il fallait lui constituer une Maison qui allait former l’écrin de sa Majesté et pour cela, rendre compte de son nouveau caractère espagnol [13]. Dans le domaine des Maisons royales, la règle n’était pas encore fixée et le personnel étranger était largement toléré. Philippe II se montra d’ailleurs magnanime avec sa nouvelle épouse puisqu’il autorisa le maintien de son escadron de dames françaises. Elle était accompagnée de dames de sang royal comme Madame de Rieux, fille du prince de La Roche-sur-Yon mort en 1520, et sa nièce Mademoiselle Anne de Bourbon-Montpensier, fille du duc de Montpensier Louis de Bourbon-Vendôme, et de Louise de Bretagne, dite Madame de Clermont. Les autres dames étaient au nombre de treize et Élisabeth espérait bien que le roi ne touchât pas à cet état, de même qu’elle espérait garder auprès d’elle le plus grand nombre de serviteurs français. Cependant, dès la fin du mois de mai, un certain nombre d’officiers furent licenciés et les renvois allaient durer encore près d’un an jusqu’à celui, plus retentissant, de Madame de Clermont.
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Cette dernière affaire illustre parfaitement la volonté, exprimée alors par le duc d’Albe, d’hispaniser la reine. La polémique débuta par une querelle entre Madame de Clermont et une autre dame qui avait les faveurs de la reine ; Claude de Vauperges, dite Madame de Vineux. Cette dernière voulait pouvoir dormir dans la chambre d’Élisabeth quand le roi n’y couchait pas lui-même, pour signifier la faveur de la reine à son égard et marquer ainsi hautement son rang dans la Maison royale [14]. D’après les Français présents à la cour, et qui témoignèrent de cet incident, les Espagnols n’attendaient que cela pour intervenir contre les Françaises. Les coups de bec échangés entre les deux dames démontraient que la jeune reine ne savait pas imposer le respect entre elles et la réputation même de sa maison s’en trouvait menacée. Catherine de Médicis reprocha violemment l’incident à sa fille, craignant quelques déconsidérations et elle l’invita à soutenir Madame de Clermont, mieux placée, étant donné son âge plus avancé, pour préparer sa fille à son métier de reine. L’ambassadeur L’Aubespine et Élisabeth pratiquèrent le roi pour défendre la réputation de la dame mais malgré les promesses de Philippe II, l’ambition de la maison des Toledo eut raison de la volonté d’Élisabeth. Le duc d’Albe souhaitait étendre son influence sur sa Maison en plaçant la duchesse comme première dame de la reine, sa camarera mayor.
L’affaire dépassait de loin le cadre d’une dispute et révélait l’enjeu du maintien des Françaises à la cour. L’ambassadeur interprétait d’ailleurs l’attitude maladroite de Madame de Vineux comme ayant été déterminée par cette nécessité de s’imposer face à l’entourage espagnol et aux ambitions du duc d’Albe. Le duc avait en effet avancé l’argument de l’hispanisation pour justifier le nécessaire renvoi de Madame de Clermont. Il considérait que l’intérêt de la reine était de conformer sa Maison à « ce qui estoit necessaire en ce pais », et voulait persuader le roi, d’après L’Aubespine, que « ladite dame de Clermont estant icy empeschoit que la royne ne se formast tant à leurs meurs et conditions espaignoles qu’ilz eussent désir » [15]. L’ambassadeur voyait la chose autrement,
« saschant que le conte dalve son frere (qui est ung tiran de bouche et outtraigieux en ambition de seul gouverner et quasi commander a sa maistresse) vouldroit ladit dame de Clermont esloignee et assez dautres hespaignols afin de mieulx posseder et regner seulz » [16].
L’influence d’une étrangère sur la reine dérangeait la société de cour et le roi s’inclina aux dépens de Madame de Clermont, jugeant que « le comble de son heur est que ladite dame [la reine], comme elle commence fort bien, se convertisse du tout aux guises et complexions, oubliant les autres » [17]. Pour parvenir à lui faire oublier ce qu’elle avait de français, il fallait donc renvoyer la dame, et celle-ci quitta effectivement la reine au printemps 1561.
Pour conclure sur ce premier point, Élisabeth dut apprendre à paraître et à être une reine espagnole, tant par son costume que par sa Maison. Cette hispanisation est également repérable à travers les portraits officiels, avec le passage de la mode française au paraître espagnol, mais elle ne fut pas totale en matière de costume.
Afficher le costume
La façon espagnole, inscrite dans l’être et le paraître de la jeune reine, ne fut pas absolue et cela pour deux raisons. Les modes, tout d’abord, étaient perméables d’une nation à l’autre, et d’une cour à l’autre ; certaines façons espagnoles et italiennes s’étant imposées dans le costume français de cour. La reine, ensuite, pratiqua à outrance cette diversité, voire cette perméabilité de la mode, changeant jusqu’à deux fois par jour de vêtement, jouant sur les modes espagnole, italienne et française.
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De l’habitus français…
La cour des Valois brillait par sa magnificence toute en générosité : des vêtements superbes de toiles d’or et d’argent, des fêtes étourdissantes et une royauté de proximité. La mode était alors inconstante comme plusieurs contemporains le notèrent, au point de débattre de la nature pécheresse de ce luxe vestimentaire. La frivolité de la mode était devenue un sujet de prêche et en 1526, le frère Michel Menot l’avait stipendiée à travers la figure de Madeleine, dans un sermon publié à Paris la même année. Il associait la légèreté coupable de Madeleine à l’inconstance vestimentaire des Français et donnait en exemple le cas d’une peinture italienne, parfois cité par d’autres moralistes, montrant les représentants de différentes nations tous habillés à la façon de leur pays sauf le Français qui était peint tout nu, portant juste des pans de tissus sur l’épaule et une paire de ciseaux à la main [18]. La « vêture » française ne semblait exister qu’à travers d’autres modes, tantôt italienne ou espagnole, tantôt polonaise, allemande ou encore turque, et cette inconstance, jusqu’à l’extravagance, agaçait nombre de contemporains, moralistes ou pas [19].
La mode, à la cour de France, exerçait alors une véritable tyrannie comme instrument de pouvoir pour signifier les rangs et la capacité des courtisans à s’y maintenir. La cour est un théâtre avec ses propres costumes de scène, de plus en plus riches et élaborés, et il revenait à la reine ou plutôt à ses filles, d’en fixer l’apparence. Or, après le départ d’Élisabeth en Espagne, ce rôle incomba à sa jeune sœur Marguerite de Valois. Sa mère Catherine la pressait de donner le ton dans une cour déjà réputée pour son luxe, son élégance et sa beauté. Un échange épistolaire entre la mère et la fille, rapporté par Brantôme, souligne qu’elle devait inventer et produire les plus belles façons de se vêtir pour guider la cour et non pas être guidée par elle :
« […] quand j’y retourneray [à la cour], je ne les emporteray point [ses robes], mais je m’y retourneray avec des cizeaux et des estoffes seulement pour me faire habiller selon la mode qui courra. La Reyne luy respondit pourquoy dites vous cela ma fille, car c’est vous qui inventez et produisez les belles façons de s’habiller, et en quelque part que vous alliez, la Cour les prendra de vous, et non vous de la Cour : comme de vray par après qu’elle y retourna on ne trouva rien à dire en elle, qui ne fut encor plus que de la Cour, tant elle sçavoit bien inventer en son gentil esprit toutes belles choses » [20].
La mode s’imposait ainsi comme l’instrument du pouvoir.
D’après Brantôme toujours, Marguerite aurait imposé des modes qui s’inspiraient de sa sœur Élisabeth, comme de se coiffer de pierres précieuses et de perles, ou en accommodant ses cheveux, les sachant « si bien tortiller, frizonner et accomoder, en imitation de la reyne d’Espagne sa sœur, qui ne s’accomodoit guières jamais que des siens, et noirs à l’espaignolle » [21]. Le raffinement des princesses et le luxe de leurs parures manifestaient leur grandeur comme des symboles politiques mais ils avaient aussi une fonction sociale en répercutant, hors de la cour, les enjeux de la mode. Le costume de cour restait toutefois propre à son milieu cosmopolite et témoignait des nombreuses influences étrangères. Ce serait donc une gageure de vouloir fixer ce costume français à l’époque de la cour d’Henri II, tant il s’inspirait de ses voisins et surtout de l’espagnol et de l’italien. Il était ainsi établi que la robe montante corsetée par un busc fixant la taille très basse était un emprunt espagnol, comme le soulignait Montaigne dans ses Essais pour critiquer cette torture infligée au corps féminin pour le gainer et le blesser par les fers du vertugadin. Il évoquait alors un « corps bien espaignolé » pour définir le costume français féminin composé d’une robe gainée et rebondie sur les côtés, remontant jusqu’au col et se terminant par une fraise, le tout avec ornement et étoffes noires [22].
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Les portraits au crayon établis par quelques-uns des meilleurs artistes de la Renaissance française et représentant les membres de la cour sous François Ier et Henri II, montrent bien les bustes gainés par un busc placé dans le corps de robe, les décolletés dégagés et la variété des manches. Cette collection de portraits au crayon - mélange de sanguine et de pierre noire - avait été constituée sur la demande de la reine Catherine de Médicis, par François Clouet et son atelier ou encore par Germain Le Mannier, peintre un temps détaché auprès de la petite cour des Enfants [23]. Ces dessins constituaient une galerie portative des portraits des enfants de la famille royale, à divers âges, et des membres éminents de la cour ou d’étrangers, dont la reine souhaitait avoir le portrait le plus souvent de trois quarts et le plus ressemblant possible. Parmi ces innombrables portraits en buste, les dames identifiées appartenaient à de grands lignages français ou étaient membres de la famille royale comme Élisabeth et sa sœur Marguerite encore enfants, voire des étrangères portugaises arrivées du temps de la reine Éléonore, seconde épouse de François Ier en 1530. Les portraits peints, plus subjectifs, sont aussi précieux pour repérer les canons de la mode française à la cour de France, entre le règne de François Ier et celui de son fils Henri. Ces portraits ont en commun de montrer des corps bien « espaignolés », c’est-à-dire raide au niveau du buste et la taille très basse.
La rigidité du buste, donnée par le busc placé dans la robe, est une constante dans la mode française de cette époque, qu’il s’agisse de la princesse Élisabeth ou des dames de la Cour. De même que le décolleté fait quasiment l’unanimité, même en Espagne jusque dans les années 1530-1540, puisque l’impératrice Isabelle en portait, ainsi qu’une dame portugaise de l’entourage de la reine Éléonore. Ce décolleté, droit ou légèrement courbe, s’arrêtait au-dessus de la poitrine, rejoignant les aisselles d’où il finissait en épaulettes le plus souvent. La collection de dessins de Chantilly permet de suivre la longévité de ce décolleté, des années 1530 aux années 1560, en présentant toutefois quelques variantes sur l’habillage de la poitrine. Les deux portraits d’Élisabeth, datés de 1549 et de 1559, montrent bien un décolleté identique mais habillé différemment. En effet, le reste de la poitrine était traditionnellement recouvert par une chemise d’étoffe légère, se terminant au col par un haut collet légèrement ouvert ou complètement refermé sur le cou. Le décolleté pouvait aussi rester ouvert et sans collet, que la dame fût jeune comme Marguerite de Valois, ou qu’elle fût veuve comme la maîtresse du roi, Diane de Poitiers. La mode pouvait aussi être à la robe fermée jusqu’au col comme dans le portrait au crayon de la marquise de Nesle vers 1560. Plus inconstantes étaient les manches, parfois amples et bouffantes ou bouillonnées et le plus souvent dans la même étoffe que la robe et bien ajustées.
Sous le dernier Valois Henri III, le costume français avait toujours d’espagnol, le busc raidissant le buste mais aussi le vertugadin qui faisait les hanches beaucoup plus amples. Cette pièce du vêtement n’était pourtant pas autorisée au-delà d’une certaine ampleur, d’après les lois somptuaires émises dès Charles IX en 1561 [24]. Le costume évoluait aussi vers un décolleté non plus horizontal mais en pointe et se terminant par une grande fraise ouverte en corolle et laissant apparaître la naissance du cou. Mais une génération plus tôt, tandis qu’Élisabeth s’apprêtait à quitter la cour de ses parents, elle portait une robe bien ajustée et des manches bouillonnées s’arrêtant à la poitrine et à la naissance des épaules pour laisser place à ce large décolleté sur une chemise travaillée qui se terminait par un collet légèrement ouvert sur le cou, et fermé à la base par un collier de perles, répondant à des perles identiques sur le buste. Ce dernier portrait français de la princesse n’était cependant pas le dernier à reprendre ce modèle.
… Au costume espagnol
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Durant les premiers mois à la cour de Philippe II, Élisabeth s’habillait indifféremment à l’espagnole, à la française ou à l’italienne, et en effet, son premier portrait officiel, réalisé vers 1560 par Alonso Sánchez Coello, peintre officiel de la cour, la représente dans une robe à la française : une robe de soie brochée rose saumon, ouverte de la taille aux pieds, sur une robe de dessous en damas blanc de la même étoffe que les manches. Celles-ci sont tailladées et les taillades sont agrémentées d’aiguillettes. Le décolleté est français et la gorge dissimulée par une toile légère richement travaillée de perles se terminant par un collet de dentelle montant jusqu’aux oreilles [25]. Duarte Delacate, tailleur de la reine à cette époque, confectionna plusieurs robes à la française entre le 1er août 1560 et le 1er septembre 1561, mais aucune ne semble correspondre à celle du portrait, pas plus que les robes inventoriées au départ de Paris quelques mois plus tôt [26]. Elle fut sans doute confectionnée dans les premiers mois suivant l’arrivée d’Élisabeth – ou simplement imaginée par le peintre à partir d’échantillons - et correspondait parfaitement à ses goûts, puisque la richesse de ce costume ne consiste pas seulement dans le luxe des étoffes mais aussi dans les parures de perles et de rubis, servant pour la ceinture, le bord du décolleté, le collier et pour le bandeau coiffant la reine. Le luxe fonctionne comme un signifiant de la dignité de la reine et de sa majesté. Son rang est aussi évoqué par l’architecture en arrière-plan, celle de la colonne évocatrice du pouvoir du roi.
Le costume faisant également sens pour signifier l’appartenance à l’élite, il est difficile de distinguer entre les différents portraits aristocratiques, ceux de la reine et d’autres dames de la cour, d’où l’importance de la vraisemblance dans la restitution des traits du visage. À la cour, les normes vestimentaires concouraient à signifier ce privilège de la hauteur par le luxe des parures ou simplement celle des étoffes et cela malgré les lois somptuaires qui avaient pour finalité d’imposer des limites au luxe et éviter la confusion des rangs. Déjà en 1515, une pragmatique avait sanctionné les costumes trop précieux mais en vain. De nouveau, en 1534, une autre pragmatique interdisait de porter du brocart de fils d’or et d’argent ou encore de la soie, à l’exception de l’empereur, de l’impératrice et de leurs enfants [27]. Mais en vain, la cour et l’élite avaient leur propre paraître et il ne pouvait s’agir de costumes régionaux, comme en témoigne la relation anonyme de janvier 1560, à propos de l’arrivée de la reine à Pampelune. Elle était vêtue à l’espagnole d’une robe de velours noir et une foule de gens était venue l’accueillir au son des canonnades et de l’artillerie, mais aussi des hautbois et des trompettes, tandis que les gentilshommes et officiers de la ville l’attendaient dans leurs longues robes de velours noir bordées de passements d’or, « les manches fort larges renversées et à paremens de damas bleu ». Dans le même temps, « force masques, montez sur des chevaux ou mulets ayant sonnettes, courroient çà et là, et une grande bande d’autres masques, gens de la ville, qui faisoient parmy les champs une danse avec les filles, vestues et tondues à la mode de Biscaye, ayant à leurs testes couronnes de velours de toutes couleurs » [28].
Les coutumes et donc les costumes étaient multiples au sein d’une même nation, tandis qu’au niveau des sphères élevées du pouvoir et de la cour, la mode était plus unifiée d’un royaume à l’autre. L’habit aristocratique se distinguait en effet des coutumes plus populaires par l’apparence de codes vestimentaires relativement communs aux élites curiales occidentales. Des cours italiennes ou espagnoles aux cours nordiques en passant par la France, ces modes curiales sont facilement repérables, mais l’origine des emprunts de chacune semble beaucoup plus difficile à établir de façon certaine.
Généralement, cette mode était constituée d’une superposition de vêtements : la chemise, le corps avec ou sans manches et la cotte, ou robe de dessous, puis la robe de dessus voire un manteau ou une cape en plus pour les sorties. Trois éléments fixaient par ailleurs l’allure et la silhouette rigides : le busc ou cône, le vertugadin et les chapines. Carmen Bernis a parlé d’encorsetamiento des corps et des esprits au regard de
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ces bustes rigides et aplatis, niant la silhouette naturelle du corps féminin. Dans les portraits, le costume, se résumant souvent en une robe entière, devient une constante pendant près d’un siècle de Charles Quint à Philippe III. Les étoffes étaient alors de soie, de velours, de satin, de damas ou de brocart, lisses ou avec motifs. Les variantes concernaient surtout les accessoires comme les coiffes, les collerettes et les manches. Élisabeth portait le plus souvent, sur la tête, un bandeau ouvragé de perles et de pierres précieuses pour maintenir les cheveux ramenés en arrière. Aucun portrait ne la figure, contrairement à doña Juana, avec une coiffe dite de papos, recouvrant les oreilles et les côtés par deux protubérances. Quant au décolleté, il avait été un temps à la mode française dans les années 1530-40 mais avait ensuite durablement adopté la mode sévère des gorgerettes rigides, enserrant le cou, voire, comme dans les portraits d’Élisabeth, la robe fermée se terminant autour du cou. Les manches étaient souvent dans la même étoffe que la robe, avec quelques points de fermeture par des aiguillettes tandis que d’autres étaient plus ajustées, comme de l’autre côté des Pyrénées. Les témoignages et les inventaires montrent cependant que les manches marquaient le plus souvent la pointe d’originalité du costume en imposant une variété de coutumes étrangères.
Le passage de la mode française à la mode espagnole avait surtout été visible au niveau du décolleté, non plus ouvert mais remontant jusqu’au cou pour l’enserrer. L’encorsatemiento de la reine répondait alors à des préoccupations morales.
Moraliser le costume
La jeune reine devait apprendre à se conformer à cette façon de paraître avec distance. L’enjeu était important puisqu’elle appartenait désormais à la Maison d’Espagne et elle devait le signifier. La reine ne pouvait apprendre cette coutume que par son entourage et c’est pour cette raison que certains serviteurs français de sa suite furent rapidement congédiés. La coutume passait aussi par le costume et la cour d’Espagne était particulièrement sensible au respect des bonnes mœurs dans le domaine de l’apparence.
Les discours moralisateurs y furent plus respectés qu’ailleurs. À commencer par les instructions de Juan Luis Vivès, dédiées à Catherine d’Aragon, considérant les parures et le luxe vestimentaire comme étant déshonnêtes parce qu’ils ont vocation à séduire : « Elle ne pense point combien c’est chose légère et vaine de se parer, orner et attiffer si curieusement, d’estre somptueusement vestue » [29]. Il juge tout autant de façon sévère les ornements : « L’ornement des femmes ne soit point celuy là de dehors, qui gist en tortillement de cheveux, ou attours d’or, ou en parements d’habits » [30], ou encore glosant les saints apôtres que « les femmes soyent ornées deparemens honnestes en vergongne et sobriété, non avec des cheveux tortillez, ou avec or, pierreries ou habits precieux… » [31].
À la cour d’Espagne, la sévérité était de mise et la princesse doña Juana était le parangon de cette grâce modeste et majestueuse comme l’avait souligné le chevalier français Brantôme, de passage à Madrid en 1564. Il évoquait alors la beauté de cette « tres-belle princesse, et de tres-apparente majesté » dont le principal caractère est la grâce surtout en Espagne, où « bonne grace accompaigne tousjours la majesté, et surtout l’espaignolle ». Malgré son habit de deuil, il la trouvait fort belle et « fort bien vestue, non autrement en femme vesve, à l’espaignolle » [32]. Le raffinement des tissus n’était pas en contradiction avec la grâce austère de ceux qui devaient donner l’exemple. Les veuves, même à la cour de France, adoptaient une mise très sévère et très commune pour l’époque, à en juger par
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les portraits de Catherine de Médicis et de doña Juana. Le noir, égayé ce qu’il faut par du blanc, ne laissait voir que les mains et le visage puisque le haut collet couvrait le cou jusqu’aux oreilles pour rejoindre une coiffe très couvrante. Le vêtement, matériau de l’histoire, fait sens et élabore un discours de l’apparence et de l’être, à la fois signifiant et signifié. Il est un marqueur de ce que veut manifester la personne, comme par exemple sa bonne moralité. Or celle d’une femme en deuil s’affichait par le costume sévère, de même que la beauté de l’âme chrétienne devait être signifiée par le vêtement, surtout dans une cour aussi attachée à la rigueur catholique que l’était celle d’Espagne.
Le luxe français des parures d’Élisabeth pouvait donc choquer en même temps qu’il en signifiait la grandeur. Cependant les sources sont très limitées pour rendre compte d’un jugement négatif concernant les toilettes de la petite Française. Ce ne fut pas le cas pour Germaine de Foix, la dernière reine d’Aragon qui remplaça un peu trop vite, aux yeux de ses sujets, la grande Isabelle. L’apparence les opposait. Isabelle la Catholique était l’archétype de la reine d’Espagne : courageuse, presque virile, pieuse et sobre. L’impératrice Isabelle, épouse de Charles Quint, suivit son modèle avec modestie, confinant l’épouse du monarque au rôle de donner des héritiers, de les éduquer, de tenir la Maison et les serviteurs et de remplir ses obligations de cour. Des obligations qui se résumaient, dans le cadre de l’économie domestique, à savoir ne pas gaspiller, rester discrète et surtout modeste. Tout au contraire, Germaine de Foix aimait le luxe et les belles apparences, ce qui fut jugé avec sévérité par les contemporains. Contrairement au deux modèles précédents, elle ne semblait pas avoir de goût pour les tâches féminines telles que la couture et la broderie. Elle avait le goût pour la vie légère de la cour française et son comportement ne pouvait que choquer tant par ses mises jugées indécentes que par la profusion mortifère des banquets. Cependant le luxe des costumes était nécessaire pour signifier le rang de la reine, il constituait l’apparence royale et à ce titre, Jeanne le Folle fut plutôt mal jugée pour pêcher dans le sens inverse, en négligeant trop ses mises [33].
Les portraits de la reine, permettant de suivre le passage de la mode française à la mode espagnole, conservent ce raffinement et ce luxe tant appréciés par Élisabeth. Ils offrent cependant un regard biaisé sur la réalité de son apparence. Le portrait de cour est en effet un discours en soi, pensé et élaboré à des fins de communiquer pour faire voir et faire croire. Dans ce cas, les portraits espagnols d’Élisabeth montrent une reine hispanisée par son costume, mais cette hispanisation fut-elle vraiment effective et que nous livrent les autres regards sur ce sujet ?
Une image de la reine plus cosmopolite
L’abondance vestimentaire
Contrairement à ce que peuvent montrer les portraits, la reine s’habillait d’une façon beaucoup plus cosmopolite et possédait une garde-robe abondante qui lui permettait de s’adonner à cette habitude française de l’inconstance.
Élisabeth avait quitté Blois le 18 novembre 1559, prenant la direction de Châtellerault et de Poitiers où le roi François II se sépara d’elle et ne la revit jamais. Elle poursuivit alors sa route en compagnie du cardinal de Bourbon et du prince de la Roche-sur-Yon. À Bordeaux, le 6 décembre, elle retrouvait le roi de Navarre - Antoine de Bourbon - qui était chargé de la livrer aux émissaires espagnols. Le convoi, qui avait quitté Blois quelques jours plus tôt, comptait plusieurs centaines de malles deux fois plus larges que hautes pour pouvoir contenir l’abondante garde-robe de la reine, celle de ses dames et tout son mobilier. Au moment du départ, l’ambassadeur espagnol Chantonnay avait cru devoir avertir Philippe II que les malles en
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question ne passeraient jamais par les sentiers des Pyrénées, étant donnée leur largeur. Il proposait au roi deux solutions, celle de faire acheminer les malles par voie de mer depuis Bordeaux - mais avec la certitude que la reine et ses dames ne disposeraient pas de leurs effets à temps pour les noces à Guadalajara - ou autre solution, faire aménager les sentiers pyrénéens [34].
Finalement, le roi envoya près de trois cent cinquante mules pour acheminer les bagages au lieu des charrettes incommodes, pour le passage du massif montagneux. Le roi de Navarre avait été particulièrement attentif au bon déroulement du voyage afin de livrer la reine en bonne santé, malgré les intempéries de l’hiver et pour également l’accompagner d’un train digne de son rang et assurer la bonne conservation de ses riches parures qui devaient la faire briller à la cour d’Espagne et à travers elle, faire briller le nom de la France. Le mémoire des meubles de la reine fut dressé à son départ de Paris en octobre 1559. Les quatorze pages de ce mémoire, écrites d’une main hâtive et en gros caractères irréguliers, révèle un luxe qui est loin d’égaler celui de son inventaire après décès en octobre 1568 [35].
Elle partit en Espagne emportant avec elle des douzaines de chemises blanches en toile de Hollande qui étaient le plus sûr moyen de s’assurer un minimum d’hygiène. Elle emportait également une douzaine de robes de dessous et de basquines, avec des jupes dans des étoffes précieuses de satin blanc, incarnat, de toile d’argent, de velours souvent bordées d’or et de perles, le plus souvent à la façon italienne tandis que les manches marquaient la différence d’une mode à l’autre puisqu’elles étaient à l’espagnole (2), à la piémontaise (2) et à la milanaise (2) ; des robes de soie et de satin très colorées, bordées d’or et d’argent et des manteaux tout aussi nombreux dont la façon est rarement précisée, sauf une occurrence pour un manteau à la mode napolitaine ; des manteaux royaux avec parfois des robes assorties en velours le plus souvent mais aussi des pointes d’argent pour fermer les taillades, des vertugadins et une multitude de gants et de boutons.
La diversité des mises
Pour la Maison de la reine, les nombreux achats étaient consignés dans les livres de compte par le tailleur ou encore par le garde-joyaux. Duarte Delacate a noté dans le détail les pans et aunes de tissus précieux nécessaires à la conception des vêtements de la reine et du personnel de sa Maison. Cristobal de Oviedo a dressé, quant à lui, la liste impressionnante des bijoux, des boutons et de tout le mobilier ayant nécessité l’intervention des orfèvres qui tenaient également leurs propres comptes. Ces derniers rendent compte de la richesse des parures mais, concernant les robes et les robes de dessous, le tailleur précise rarement le modèle utilisé sauf quelques rares exceptions concernant les manches [36]. L’inventaire après décès, pour la vente aux enchères des effets personnels de la reine commencée en décembre 1569 et achevée en 1575, est encore plus élégant et défie les règles de la moralité [37]. Il est riche en bijoux de toutes sortes et de toutes valeurs, de mobiliers en tout genre, du lit au fauteuil de la reine en passant par ses images saintes, mais aussi ses vêtements d’étoffes précieuses et de fourrures, des robes de dessous, des basquines, des jupons, des robes, des manteaux, des vertugadins, des capes, des cottes, des chemises. La mode est rarement précisée, sauf à quatre reprises ; pour deux robes et une cotte à la façon de Florence et une robe de taffetas blanc de Gênes.
Les témoignages des contemporains abondent pour souligner la diversité des mises de la reine et l’attrait qu’elle exerça sur eux, à commencer dès son arrivée en Navarre espagnole. La relation de janvier 1560, attentive aux vêtements portés par les protagonistes de ce voyage, nota, qu’à Pampelune, la reine avait été
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accueillie par la comtesse d’Ureña en habit de veuve et que de nombreuses dames, « montées sur leurs chapines », se pressaient pour la voir « boire et manger », l’idolâtrant déjà « l’admirant en toute sorte, ne se pouvant saouler de la regarder » [38]. La curiosité irrépressible des dames rappelle celle des gentilshommes et des grands seigneurs qui étaient présents au moment de l’arrivée de la reine à Roncevaux et qui dès le lendemain se pressaient encore autour d’elle, « regardée, à son disner et souper, par les seigneurs déguisez, qui s’estonnoient de la bonne grâce, contenance et gravité de cette princesse » [39]. La reine avait alors accompli son rite d’intégration, sans autre formalité que celle de porter des robes à l’espagnole. Désormais accueillie dans son royaume et servie par sa première dame et son maître de salle don Lope de Guzman, la reine retournait à ses malles pour revêtir ses atours somptueux de Française : « Le lendemain [après son arrivée à Pampelune] la reyne (pour ce que la comtesse l’en pria) s’habilla à la françoise, ce que les dames du pays trouvèrent si beau, que la reyne depuis ne s’est point accoustrée autrement, qu’une fois ou deux » [40]. Les semaines suivant l’arrivée de la reine furent rapportées par plusieurs contemporains qui ne s’intéressèrent pas toujours aux mises d’Élisabeth et les quelques allusions à la mode d’origine en soulignent surtout le caractère français.
Dans la relation anonyme conservée à l’Académie Royale d’Histoire, couvrant la période allant du mariage jusqu’à l’entrée tolédane et en dépit d’une chronologie très incertaine sur laquelle il est préférable de ne pas s’appuyer, l’auteur fait mention de la mode française à deux reprises. À la date indiquée et supposée du 20 janvier, la reine « était vêtue à la française avec une robe de dessous en toile d’or, et une cotte de la même étoffe, recouverte de pierres et de joyaux et les manches doublées et portant un collier très riche » [41]. Puis de nouveau le jour de ses noces à Guadalajara, le 29 janvier, la reine
« sortit vêtue à la française, une robe de dessous en toile d’argent très ample et une robe de la même étoffe doublée de loup-cervier et son chaperon de velours noir avec beaucoup de pierres et de perles, et pour bijou une croix de diamants très riches » [42].
Le roi et sa suite étaient venus la quérir dans sa chambre, où elle attendait assise sous un dais en compagnie de doña Juana qui portait ce jour-là « une robe de dessous en satin noir avec une garniture bordée de cordonnets de soie et ornée de gros boutons violets » et une coiffe richement agrémentée de pierres précieuses et de perles [43]. Le roi lui-même portait pourpoint et chausses blancs, bordés de cannetilles d’or tandis que le manteau était français, de velours violet et recouvert d’or et de pierres précieuses [44]. Ce dernier détail révèle le caractère non exclusif de la mode espagnole, surtout dans le cadre d’une cérémonie aussi manifeste que celle d’un mariage politique. La mode en vogue à la cour ne semblait alors pas obéir à des règles formelles et contraignantes, ménageant des espaces de liberté dans ce qui demeure certes la manifestation d’un code identitaire. Dans le cadre d’une évidente sémiologie du vêtement, le manteau à la française du roi est un signe dont il faudrait pouvoir éclairer le sens ; à savoir s’il répondait simplement à une mode et à un goût de l’apparat auquel ce vêtement convenait mieux, ou s’il était un geste envers la reine et son origine française, comme un trait d’union entre leurs deux nations.
Du côté d’Élisabeth, les changements de mode s’expliquent sans doute plus facilement. À l’approche des Pyrénées, elle avait abandonné le deuil, marquant symboliquement le passage de la frontière et accomplissant ainsi son rite d’intégration. Le rituel s’était prolongé les premiers jours qui avaient ensuite suivi sa livraison à Roncevaux et jusqu’à son entrée dans Tudela. Elle s’était montrée vêtue à l’espagnole lors des entrées, poursuivant ainsi sa présentation à ses sujets en tant que nouvelle reine d’Espagne. En revanche, elle s’habilla ensuite ordinairement à la française jusqu’au mariage, qui la rappelait de façon plus évidente à ses origines. Lors des noces à Guadalajara, la robe française de la reine signifiait sa Maison mère
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et le caractère politique de l’événement. Cependant les circonstances elles-mêmes constituaient, pour la jeune reine, un temps de rupture avec son ancienne identité, comme un point de non-retour vers ses origines françaises. Les contemporains témoignèrent en effet du changement qui se produisit alors chez Élisabeth après ses noces, se montrant de plus en plus vêtue à l’espagnole. La relation anonyme de janvier 1560 jugea donc un peu vite l’enthousiasme des Espagnoles devant les mises élaborées de la reine et surtout celle-ci, loin de toujours s’habiller à la française, diversifiait ses mises presque deux fois par jour.
Dans le journal de Madame de Clermont, destiné à Catherine de Médicis, la dame d’atours de la reine fit le récit presque quotidien et circonstancié du mois de mai 1560. Les descriptions des vêtements ne sont pas assez précises pour en définir le modèle, sauf lorsque la dame indique la façon d’origine. Le mercredi 1er mai, la reine alla écouter la messe avec ses
« filles … toutes habillées à l’espaignolle de robes de velours viollet bordées d’un petit bord entrelacé d’un satin viollet, la cotte et pourpoinct de satin cramoisy, chamarrés de petites bandes de satin blanc, que le Roy leur avoit données à chascunes et jusques aux chapins chausses et toille pour leur faire des chemises ».
La reine était coiffée « à l’espaignolle de rubiz, diamanz et grosses perles entrelacées par dessus ses cheveulx » et portant la « robe et cotte que madame la princesse luy donna » [45], donc vraisemblablement à l’espagnole aussi. Le lendemain, elle portait encore une robe selon la mode espagnole, à taffetas vert couvert de passements d’argent sur une cotte de satin cramoisi et gaufré des mêmes passements d’argent en losange. Le samedi suivant, elle s’habillait de nouveau à l’espagnole et se coiffait à l’italienne les jours suivants avant de passer, le mardi, un habit français en satin violet, quand ce n’était pas du satin jaune chamarré et passementé, du taffetas gris, vert ou bleu, la plupart du temps à l’espagnole. Les comptes de son tailleur Duarte Delacate révèlent quelques détails intéressants sur les pièces confectionnées, indiquant parfois le modèle d’origine et systématiquement leur étoffe et leur prix. D’après ces comptes faisant le bilan de son travail entre le 1er août 1560 et le 1er septembre 1561, tout est répertorié jusqu’aux boutons et boutonnières pour une vingtaine de réaux, ainsi que tous les autres ornements comme les passements, les chaînettes, les cordonnets, etc. Les pièces les plus importantes et les plus coûteuses étaient trois vertugadins, dont deux de taffetas cramoisi ; sept corps de satin, de damas ou de velours noir, incarnat ou blanc ; quatre basquines et corsages sans manches ; huit justaucorps de satin blanc le plus souvent ; trois corps avec manches en velours ; deux jupes ; onze robes de dessous et onze manteaux. Le montant de la facture s’élevait à 173 555 maravédis, soit environ 463 ducats. Un autre livre de comptes, pour la même époque, établit le coût pour l’achat, auprès de Baltasar Gomez - joaillier de la reine - de toutes les matières premières nécessaires aux costumes et à leurs parures, confectionnés par le tailleur officiel Duarte Delacate ; le tailleur pour sa maison, Bartolomé de Torres et pour le garde-joyaux Cristobal de Oviedo [46]. Les principaux achats concernent du fil du Portugal, des soies de Grenade, des aunes de futaine blanche pour les doublures, des toiles de Flandres et de Bretagne, des onces d’or et d’argent, des chaînettes et autres marchandises.
La confection des pièces de costume valait de deux à cinq ducats à l’exception de quelques robes pouvant coûter de huit à vingt-deux ducats. La seule, portant la mention « a la española », était destinée à la princesse doña Juana de Portugal et ne coûta que 76 réaux. Le tailleur figurait, en marge de sa liste, la provenance du vêtement ou de l’étoffe lorsque celle-ci était française : une robe à la française de satin pour 22 ducats, une autre « de velours noir toute couverte de galons d’or et d’argent », « un corps de velours noir garni d’argent […] doublée d’une toile d’argent », « plus un corps et des manches de satin orangé garni et recouvert de dentelles d’argent, avec des crevées, doublée d’une toile d’argent pour une robe de
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dessous à la française », un autre « de satin jaune bordé d’argent », « un pourpoint de taffetas noir » à la française, « un manteau de satin blanc » qui « vient de France » et d’autres manteaux encore, en tout cinq à la française sur les onze répertoriées dans la liste [47].
D’après les comptes du même Duarte Delacate, pour les cinq premiers mois de l’année 1563, les couleurs sont beaucoup moins diversifiées et le noir semble s’imposer, de même que l’origine de certains tissus ou de certaines façons évoquent désormais l’Italie avec les modes milanaises et florentines sauf exception d’une jupe et manches à la française. L’apparence française de la reine ne dura qu’un temps - celui de son hispanisation - faisant place à une mode toujours cosmopolite à travers ses influences italiennes mais une mode avant tout espagnole.
Dans l’année qui suivit son arrivée à la cour d’Espagne, Élisabeth adopta les mœurs du son nouveau royaume, se faisant servir à la façon du pays grâce au renvoi d’un grand nombre de ses serviteurs français et en prenant l’apparence d’une reine d’Espagne, au point que pour se consoler du départ de Madame de Clermont, l’ambassadeur L’Aubespine avait écrit à la reine Catherine de Médicis qu’ « estant ia la Royne catholique tant accoustumée et quasi tournée a la façon du pais qui semble quelle navoit besoin d’autre compagnie ne assistance que des siens » [48]. Élisabeth s’était hispanisée mais conservait la légèreté de sa cour d’origine en affichant une inconstance vestimentaire, moins dans l’apparence que dans le luxe ostentatoire, qui était moins bien perçue du côté espagnol des Pyrénées. La mode sévère de l’encorsatemiento ne semblait pas la décourager dans la mesure où elle affichait une coquetterie démesurée dans les parures de joyaux et les belles étoffes, au point de dépenser des fortunes, pour elle ou pour faire des cadeaux, comme à Bayonne, lorsqu’elle offrit à sa jeune sœur de douze ans - Marguerite de Valois - une robe magnifique, vraisemblablement à l’espagnole, de satin cramoisi toute bordée d’or et de perles, avec des boutons de riches pierres et des dentelles de perles ainsi qu’une ceinture faite à l’espagnole [49].
Annexe
Cuenta de duardo delacat sastre de Su magestad de obras que ha echo para la persona de Su magestad. (AGS, Casas y Sitios Reales, leg. 382, n°2, sin folio)
Las ropas que yo Duarte delacat he echo para Su magestad de la Reyna nuestra Señora desde del primero de agosto de mil y quinientos y sesenta años.
Primeramente un verdugado de tafetan carmesi, de la echura, dos ducados
Mas otro verdugado, de damasco amarillo, la cuerda de terciopelo amarillo [dos ducados].
Mas una ropilla de raso encarnado, guarnecido de pasamanos de oro y plata, la guarda de dos pasamanos ganduxados de cantillos de oro y de plata, el aforro de tafetan encarnado, de la echura, çinco ducados.
Mas una vasquiña, del mismo rasso y un corpillo guarneçido de randas, de oro y de plata, de quatro de dos en ancho, con quatro guardas de oro y de plata, de pasamanos ganduxado de cantillo de oro y plata, de echura, tres ducados.
Mas un jubon del mismo rasso guarneçido con manguillas y cadenetas de oro y de plata ganduxado de cantillos, de oro y de plata de echura, diez ducados.
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Mas un manguillo de rasso carmesi pespuntado de oro guarneçido con cordoncillos y cantoncillos de oro y plata, de la echura seys Reales.
Mas una saya de burato negro para el luto de la Reyna de escoçia guarneçido con ribete de seda, guarneçida de seys almenadas de dos en dos de echura çinco ducados.
Mas una ropilla de burato guarnecido con un ribete de seda aforrrado de tafetan entredoble de la echura treynta y tres Reales y medio.
Por la suma de la plana de Atras
Mas un manteo, de tela de oro, y encarnado, y de seda encarnado, guarneçido de pasamanos, de oro y corpino y manguillas, de lo mismo de echura dos ducados
De francia
Mas una saya de raso culumbino, toda cubierta de pasamanos, de oro y a ondas, de echura veynte y dos ducados
De francia
Mas una saya de terçiopelo negro, toda cubierta de cordoncillos de oro y de plata, de echura ocho ducados.
Mas una vasquiña de damasco blanco encarnado guarnecida de tres randas de oro, la guarda de sus ribetes de terciopelo blanco ganduxadas de oro, la guarda de un chico pasamano de oro y un corpiño de lo mismo, de echura quatro ducados.
Mas una ropilla, de damasco blanco labrada con una randa de oro, con dos ribetes de terciopelo blanco, ganduxada, con cordoncillos de oro, la guarda del ribete con un pasamano chico de oro, de la echura çinco ducados.
Mas un jubon de tela de lienço vareado de oro y seda verde, de la echura, ocho Reales.
Mas de votones y ojales para el quatro Reales.
Mas otro jubon de lienco vareado de oro, y seda encarnada por la echura ocho Reales.
Mas de ojales y votones, quatro Reales.
Mas una saya de plata, prensada, guarnecida de tres gorbiones de oro, la guarda de los gorbiones, de cantillos de oro, en plomo de echura catorze ducados.
Mas una saya de telilla, y seda encarnada, listada, de plata, guarneçida de dos pasamanos de plata, de echura, dos ducados.
Mas he hecho un cuerpo vaxo de terciopelo negro guarneçido de pasamanos de plata echo a ondas, de la echura dos ducados digo un ducado.
Por la suma de la plana de atras
Mas quatro chapirones para Su magestad de terciopelo negro, de la echura de cada uno diez Reales, son quarenta Reales.
Mas diez dulletas de raso blanco para Su magestad, de la echura, diez Reales.
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Mas seys [turalobes] de terciopelo negro para Su magestad de la echura, seys Reales.
[manquant] volsa de rasso carmesi para Su magestad [manquant], tres Reales.
Mas una saya de telilla de oro, parda para Su magestad, prensada guarneçida de dos pasamanos de plata toda cubierta, de cadenillas de oro, de la echura, doze ducados.
Mas e echo un cuerpo y mangas de rasso carmesi todo vordado de plata, de aforro de las mangas, de telilla, de plata y seda açul prensada de la echura, dos ducados y medio.
Mas unas manguillas de telilla de plata, guarneçidas de cadenillas de plata, y frangas de seda de la echura veynte y ocho Reales.
De francia vino
Mas un manteo y capote para Su magestad de damasco blanco guarneçido de oro, el damasco vino de francia de la echura, cinco ducados.
Mas he hecho treze mascaras de olanda blanca y de tafetan blanco, guarneçidas con franxas de oro, las ocho y las çinco guarneçidas con frangas blancas y seda amarilla, de echura, ciento y cinquenta y seys Reales.
Vino de francia
Mas un manteo de raso blanco para Su magestad guarneçido de oro forrado en [fustan] blanco de echura, tres ducados.
Un de rasso y oro de françia.
Mas para Su magestad un jubon de rasso blanco guarneçido de oro de la echura treynta y seys Reales.
Por la suma de la plana de atras
Este manteo se hiço en françia
Mas un manteo del mismo de tafetan colorado vordado de plata y terciopelo carmesi, para la cavalleriça de echura, seys ducados.
Mas puse para este manteo una onça de cadeneta de plata, que lo dicho diez y siete Reales.
Mas he puesto dos terçias de tafetan carmesi para picadillos y aforro del caveçon del dicho manteo, seys Reales y medio.
Mas he puesto media una de para el caveçon del dicho manteo, Real y medio.
Mas una onça de seda carmessi, para lo ser el dicho manteo, çinco Reales.
Mas he hecho un manteo de tafetan blanco para la cavalleriça de la echura un ducado.
Mas puse una vara de lienço para el aforro de las mangas y caveçon del manteo, costo tres Reales.
Mas una onça de seda blanca para lo ser el dicho manteo, quatro Reales.
Mas una terçia de tafetan blanco para aforro del caveçon, vale tres Reales.
Mas une dozena de votones de plata para las mangas, del dicho manteo, dos Reales.
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Mas una ropa para Su magestad de tela de olanda de la echura ducado y medio.
Mas una ropilla de rasso negro para Su magestad toda mosqueada, con tres ribetes de terciopelo negro, y almenada por guarda de los ribetes de echura, çinco ducados.
Mas una ropilla de terciopelo para Su magestad, guarneçido con tres ribetes de terciopelo negro, y ganduxado con entorchados, aforrada en tafetan de echura seys ducados.
Por la suma de la plana atras
Mas otra ropa de terciopelo negro para Su magestad, con un Ribete, al conto, de echura seis ducados.
Mas una vasquiña y corpinos de tela de plata y encarnado, guarneçido de pasamanos de plata, y seda encarnada, con cadenillas por entremedias de plata, de echura, diez ducados.
Mas ocho tures para Su magestad, de raso negro de echura, ocho Reales.
Mas un manto de rasso amarillo guarneçido con una faxa de terciopelo, amarillo, guarneçido con una faxa de terciopelo, amarillo con espiguilla de plata, ganduxado por medio y por la guarda, de la faxa un almenada, de plata, por la echura, del manto y corpiño y manguillos çinco ducados.
Mas otro manteo de grana vordado de plata con un ribete de terciopelo carmessi ganduxado con cordoncillos de plata, aforrado en tafetan colorado por la echura del dicho manteo corpillo y manguillo, çinco ducados.
Mas de dos tafetanes repulgados dos Reales.
De votones y ojales para los manguillos un Real.
De francia
Mas hiçe a Su magestad un cuerpo de tierçopelo negro guarnecido de plata para una saya a la francesa aforrada de telilla de plata, de echura, dos ducados y medio.
Por la suma de atras
Mas hice otro cuerpo vaxo para la dicha saya los costados de terciopelo negro y las espaldas y perlas de tafetan negro, de echura un ducado.
Mas hiçe un cuerpo y mangas de terciopelo negro, digo blanco, guarneçido de oro y de plata por la echura del cuerpo y mangas, dos ducados.
Para saia que di a la princesa
Mas un cuerpo a la española de rasso encarnado carmesi, vordado de perlas y del mantillo, de oro para una saya, qua la princesa le a madado por la echura del dicho cuerpo, setenta y siete Reales.
Mas e echo un jubon de rasso pardo, guarneçido de espiguilla, de oro y de cadenilla de oro picado, de echura treynta y seys Reales.
Para votones y ojales tres Reales.
Mas un tafetan verde guarneçido de franxas de oro para la pintura del Rey doze Reales.
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Mas una ropilla de rasso negro para Su magestad labrada de oro guarneçida con dos ribetes de terciopelo negro de ribete ganduxado de cordonçillo de oro la guarda del ribete, almenado por medio de los ribetes, y una guarda de oro aforrada de [ ? ], por la echura, ocho ducados de a 375 maravedís.
Para saia que vino de Francia
Mas un cuerpo y mangas de raso naranxado guarneçido y cubierto de randas de plata con cuchilladas aforrada, en telilla de plata para una saya a la françesa de echura tres ducados y medio.
Por la suma de atras
Mas un jubon de rasso blanco, guarneçido despiguilla y de entorchado, en rapon y despiguilla de oro y de seda blanca, ganduxado por ancho de briscadillo y de filete de oro çiento y sesenta y çinco Reales.
Para saia que vino de Francia
Mas un cuerpo y mangas de rasso amarillo vordado de plata, para una saya a la françesa las mangas aforradas en tela de plata, acuchillado, por la echura del cuerpo y mangas, tres ducados.
Mas he hecho un manteo de paño azul guarneçido de una randa de plata, con tres ribetes de terciopelo açul ganduxado de cordoncillos de plata, y perlas guarda del ribete, almenado de plata y de seda açul por la echura, de corpino y manguillos, seys ducados.
De votones y ojales, para el manguillo un Real.
Mas una saya de tela de plata y açul guarneçido con dos pasamanos, de plata, las mangas acuchilladas, por la echura, siete ducados.
De dos escapulares para Su magestad. repulgados y guarneçidos de malmenara a la redonda, por la echura, quatro ducados.
Mas un manteo a la françesa para Su magestad de rasso pardo guarneçido de pasamanos y de plata y de cadenilla, a ondas de plata, por medio de los pasamanos y guarneçido de alamanes de plata, por la echura, ocho ducados.
Mas una delantera de grana guarneçida con una randa de plata, por guarda, un pasamano de plata y de seda encarnada, el ribete de un pasamano de plata, con sus ruedos de tafetan colorado, por la echura dos ducados.
Por la sumpa de atras
Mas un capote y delantera de terciopelo negro guarneçido con seys ribetes de terciopelo negro y ganduxado de cordoncillos de oro, con sus guardas, de entorchados y de almenara, todo guarneçido de cordonçillos de oro, y de entorchado con alamares, de oro por la echura del capote y delantera, veynte ducados.
Mas he hecho una saya de[ ? ] para el luto del Rey de françia por la echura de la dicha saya, dos ducados.
Mas una vasquiña de rasso negro guarneçida con un ribete de rasso negro por la echura onze reales.
De votones y ojales tres Reales
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Mas e echo un verdugado de tafetan carmesi, digo tafetan negro con un ribete de terciopelo negro, por la echura, dos ducados.
Mas una ropilla a la françesa de tafetan negro, aforrado al derredor, de vocacin negro con su ribete de seda negra, las mangas cortadas por ariba ya votonado por delante, de echura seys Reales.
Mas un manteo de terciopelo negro digo açul aforrado de [fustan] con su ribete de lo mismo, la rueda de tafetan açul por la echura un ducado.
Mas un capote de paño negro, con su ribete de lo mismo, el collar todo ribeteado y las mangas redondas por ariba con su ribete y la delantera de lo mismo todo con sus alamanes el aforro, del capote de felpa y la delantera con su Ruedda de tafetan por la echura del capote y delantera tres ducados.
Por la suma de atras
Mas hize a Su magestad, un herreruelo de paño negro todo guarneçido de Alamanes y delantera de tafetan, un ducado.
Mas una saya de raxa negra y la manga redonda con ribete de lo mismo. Tres ducados.
Mas una maleta de terciopelo negro guarneçido de quatro faxas con su pespunte, el Aforro de tafetan negra, de echura un ducado.
Mas un jubon de rasso blanco todo cubierto de cadeneta de plata, de tres en tres por el medio, ganduxado de filete de plata, por echura dos ducados.
Mas de votones y ojales tres Reales
Mas e echo un capote y delantera, de rasso negro, todo guarneçido de pasamanos de oro, a dos haçes y de seda parda, con sus alamanes, y las mangas redondas por ariba y el capote todo cubierto del dicho pasamano, entrelaçado de echura [ ? ]
Mas he echo una ropilla de olanda picada, con su ribete de pasamano de ylo blanco, con sus alamanes por delante y por las mangas, y por el costado de echura, tres ducados.
Por la suma de atras
Mas e echo para Su magestad un jubon de la misma olanda picada con sus ribetes del dicho pasamano, por la echura, seys Reales.
Mas de votones y ozales tres Reales
Mas un paño de tafetan colorado para ençima de la mesa que se pone, quando Su magestad se pone en los coxines, a la misa tiene una franga dehoro al derredor de echura un ducado.
Lo que ha adereçado desde el mes de março asta el mes de henero de mill y quinientos y sesenta y un anos, ansi de ensanchar como de ensangostar cuerpos de sayas como de jubones, y de corpinos y de angostar, mangas y ensancharlas, por la echura, de todo ochenta ducados
Mas de aver echo calados y otras guarniciones a corpiños y sayas por todo este tiempo noventa ducados.
p. 19
Suman las echuras de los vestidos que a echo duardo delacat sastre para la persona de Su magestad desde primero de Agosto, del año de mill y quinientos y sesenta, asta mediado março del año de mill y quinientos y sesenta y uno, çiento y ochenta y tres mill, y seteçientos y quatro maravedis, como parece en esta cuenta que della dio, de diez planas, en que ay ochenta y nueve partidas, y va metido en esta cuenta, ochenta dundas ? que Su magestad mandó que se le pagasen por adereços, que a echo, desde el primero de Agosto del dicho año asta março del año de sesenta y uno, laqual dicha cuenta a verigno ? Cristoval de oviedo, guardajoyas de Su magestad, por mandado de los illustrissimos señores donde de alva maiordomo mayor y condesa de ureña camarera mayor, echo en Madrid, a primero de septiembre de mill y quinientos y sesenta y uno.
173 555 maravedis
Sylvène Édouard
Université Lyon 3, LARHRA UMR CNRS 5190
Notes
[1] F. Deserps, Recueil de la diversité des habits qui sont de présent en usage tant ès pays d’Europe, Asie, Afrique et isles sauvages : le tout fait après le naturel, Paris, 1564 ; M. Lazard, « Le corps vêtu : signification du costume à la Renaissance », dans J. Céard, M.M. Fontaine et J.Cl. Margolin (dir.), Le corps à la Renaissance, Actes du XXXe colloque de Tours, Paris, Aux Amateurs du Livre, 1987, pp. 77-94 ; I. Paresys, « The Dressed Body : the Moulding of Identities in 16th Century France », Forging European Identities, 1400-1700, éd. par H. Roordenburg, vol. IV de Cultural Exchange in Early Modern Europe, éd. par R. Muchembled, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, pp. 227-257.
[2] R. Barthes, « Histoire et sociologie du vêtement », Annales ESC, 3, 1957, p. 432, et Le Système de la mode, Paris, Seuil, 1967. F. Gherchanoc, V. Huet, « S’habiller et se déshabiller en Grèce et à Rome. Pratiques politiques et culturelles du vêtement. Essai historiographique », Revue Historique, CCCIX/1, 2007, pp. 3-30.
[3] C. Klapisch-Zuber, La maison et le nom. Stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, EHESS, 1990. La notion de rite de passage ou d’intégration est empruntée aux travaux d’A. Van Gennep, Les rites de passage (1908), Paris, Picard, 1981. Jean-François Dubost a confronté ces approches au cas de Marie de Médicis dans le « Le corps de la reine, objet politique : Marie de Médicis », Femmes et pouvoir politique. Les princesses d’Europe XVe-XVIIIe siècle, I. Poutrin et M. K. Schaub (dir.), Rosny-sous-Bois, Bréal, 2007, pp. 235-266.
[4] Klapisch-zuber, op.cit., 1990, pp. 186-200.
[5] Dubost, art.cit., 2007.
[6] Ibid., p. 260.
[7] A. E. Zanger, Scenes from the Marriage of Louis XIV. Nuptial Fictions and the Making of Absolutist Power, Stanford, Stanford University Press, 1997, pp. 44-50.
[8] Ynstrucion que Su Magestad enbió al Cardenal don Francisco de Mendoza obispo de Burgos y Duque para la orden que avian de tener en yr a resçibir a la Reyna, depuis Aranjuez, le 23 novembre 1559. Archives des Affaires Étrangères, Paris [AAE], « mémoires et documents, Espagne, » n° 233, fol. 234r.
[9] L. Paris, Négociations, lettres et pièces diverses relatives au règne de François Ier, tirées du portefeuille de Sébastien de L’Aubespine, évêque de Limoges, Paris, Imprimerie royale, 1841, p. 187 ; Anonyme, Relation de ce qui se passa depuis l’arrivée de la reine à Pied-de-Port jusques à Pampelune. Janvier 1559 [1560]. Il s’agit vraisemblablement d’une dame de la reine, sans doute Madame de Clermont, dont le style est reconnaissable.
[10] Ibid., p. 190.
[11] Bibliothèque nationale de France, Paris [BnF], ms fr. 19595, « Nouvelles de larryvee de la Royne catholique en la ville de Bayonne ».
[12] BnF, ms français 7856, f. 1247r.-1251v.
[13] M.J. Rodriguez Salgado, « ’[Una perfecta princesa’. Casa y vida de la reina Isabel de Valois(1559-1568). Primera parte », Cuadernos de Historia moderna, Anejo II, 2003, pp. 39-96 ; M. García Barranco, « La Casa de la Reina en tiempo de Isabel de Valois », Chronica Nova, n°29, 2002, pp. 85-107.
[14] Bibliothèque Mazarine, Paris, ms 1996 « L’arrivee de la reine Elisabeth comme elle fut receue par le Roy et les Grands du Royaume Et ce qui se passa en la cérémonie des Espousailles et autres particularitez touchant l’establissement de la maison de ladite dame Royne », f. 100r.
[15] BnF, ms français 6614, Lettre de l’ambassadeur L’Aubespine à Catherine de Médicis, non datée, f. 92r.
[16] Ibid.
[17] Paris, op.cit., Lettre de L’Aubespine à Catherine de Médicis, 9 décembre 1560, p.723.
[18] J. Labourderie, Sermons de frère Michel Menot, Paris, Fournier, 1832. Voir I. Paresys, « Paraître et se vêtir au XVIe siècle : morales vestimentaires », dans Paraître et se vêtir au XVIe siècle, Actes du colloque du Puy-en-Velay, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2006, p. 15.
[19] H. Estienne, Deux dialogues du nouveau langage françois, italianizé, et autrement desguizé, principalement entre les courtisans de ce temps, Anvers, 1579 [1578], Paresys, art.cit., 2006, p. 16.
[20] Brantôme, Memoires de Messire Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, contenans les Vies des Dames Illustres de France de son temps, Leyde, Jean Sambix le Jeune, 1665, p. 213.
[21] Brantôme, op.cit., p. 216 , voir Lazard, 1987, p. 84.
[22] Montaigne, Essais, I, 24 ; I. Paresys, « Le corps espagnolé », dans E. Belman et M.J. Michel (dir.), Corps Santé Société, Paris, Nolin, 2005, p. 247.
[23] A. Zvereva, Les Clouet de Catherine de Médicis. Chefs-d’œuvre graphiques du musée Condé, Paris, Somogy, 2002.
[24] J. Boucher, « Le costume autour des derniers Valois : signe de pouvoir et objet de polémique », dans Paraître et se vêtir au XVIe siècle, 2006, p. 215.
[25] M. Kusche, Retratos y retratadores. Alonso Sánchez Coello y sus competidores Sofonisba Anguissola, Jorge de La Rúa y Rolán Moys, Madrid, Fundación de Apoyo a la Historia del Arte Hispánico, 2003.
[26] Archivo General de Simancas, Casas y Sitios Reales [AGS, CSR] leg. 382, n°2. En annexe.
[27] C. Bernis, Indumentaria española en tiempos de Carlos V, Instituto Diego Velázquez, Madrid, 1962, p. 13, et A. Hunt, Governance of the Consuming passions. A History of Sumptuary Law, New York, St Martin’s Press, 1996.
[28] Paris, op. cit., p. 191.
[29] Vives, L’Institution de la femme chrestienne tant en son enfance, que mariage et viduité avec l’Office du mary Traduit en François par Antoine Tiron du Latin de Louis Vives, Anvers, Christophe Plantin, 1579, p. 32.
[30] Ibid., p. 66.
[31] Ibid., p. 66.
[32] P. de Bourdeille, sieur de Brantôme, Les vies des dames galantes (1655), Paris, Garnier, 1967, p. 378.
[33] R. E. Ríos Lloret, « Doña Germana de Foix. Última reina de Aragón y virreina de Valencia », M. V. Lopez-Cordón y G. Franco (coords.), La Reina Isabel y las reinas de España : realidad, modelos e imagen historiográfica, Madrid, Fundación Española de Historia Moderna, 2005, p. 82.
[34] Archives Nationales de France, série « Simancas » microfilmée, Estado Francia K 1492, n° 10.
[35] AAE, Mémoires et documents, Espagne, n° 233, ff. 240r.-246v. : Memoria de los muebles y la tropa de Paris de Madama hermana del Rey, Princessa de España… ; AGS, CSR, leg. 24, n°2 : Inventario aprecio de los bienes muebles, joyas, oro y plata, bestidos y otras cosas que quedaron de la Magestad de la Rreina Nuestra Señora que esta en gloria hecha por mandado de su Magestad e por las personas que para ello fueron nombradas, el qual se hizo en la forma y orden siguiente, cité par A. de Amezúa, Isabel de Valois. Reina de España (1546-1568), Madrid, Gráficas Ultra, 1949, t. III, pp. 533-554.
[36] AGS CSR, leg. 382, n°2 (compte du costumier de la reine) ; leg. 80 (comptes de Cristobal de Oviedo) ; leg. 39 (comptes des orfèvres).
[37] AGS CSR, leg. 38, n°1 : Libro en que se asientan los remates que se hazen de los bienes que quedaron de la Reina doña Ysabel nuestra que esta en gloria. Pasa ante mi Francisco Escudero, escribano.
[38] Paris, op.cit., « Relation anonyme », p. 192.
[39] Ibid., p. 188.
[40] Ibid., p. 192.
[41] Real Academia de Historia, Madrid [RAH], colección de Jesuitas, Tomo 88, ms 9-3661, « Casamiento del rey D. Felipe 2° con la reyna d. Isabel de la paz en la ciudad de Guadalajara », f. 226r. : « estava bestida a la francesa con una saia de tela de oro, y delantera de lo mismo, llena de piedras y joias y las mangas aforradas, alta con su collar en ella mui rico ».
[42] RAH, ms 9-3661 « Casamiento… », f. 224v. : « salió vestida a la francesa, una saia de tela de plata mui ancha y ropa de lo mesmo aforrada en lobos cervales y su chapiron de terciopelo negro con muchas piedras y perlas y por joyas una cruz de diamantes mui ricos ».
[43] Ibid. : « una saia de raso negro con una guarnición bordada de cordoncillos de seda y adereçada con botones gordos de morado ».
[44] J. Alenda y Mira, Relaciones de solemnidades y fiestas públicas en España, I, Madrid, 1903, p. 60.
[45] Journal de Madame de Clermont, cité par A. de Amezúa, op.cit., t. III, p. 107.
[46] AGS, CSR legajo 37, n° 5 Cuenta de gastos de sedas, oro, plata y demás que se tomó de la casa de Baltasar Gomez joyero de la reina, para su servicio, criados, caballeriza e Infantas, ff. 765r.-782r., titre rogné à l’exception de la date, « hebrero 1560 años hasta fin del dicho año ».
[47] AGS, CSR leg. 382, n°2 : Quenta y memoria de las echuras de bestidos que a Su magestad e damas y criadas que yo Duarte Delacate tengo echas del principio del mes de henero del año de mill e quinientos y sesenta y tres años asta postreros a del mes de mayo del dicho año : « terciopelo negro toda cubierta de cordonçillos de oro y de plata », « un cuerpo de terciopelo negro guarneçido de plata […] aforrada de telilla de plata », « mas un cuerpo y mangas de raso naranxado guarneçido y cubierto de randas de plata con cuchilladas, aforrada en telilla de plata para una saya a la françesa », otro « de rasso amarillo vordado de plata », « una ropilla de tafetan negro » a la francesa, « un manteo y capote [de Francia] de damasco blanco guarneçido de oro », y por fin « un manteo de raso blanco » que « vino de Francia ».
[48] BnF, ms fr. 15874, fol. 6r.
[49] BnF, ms fr. 6176, fol. 127r.-136r. : Relation anonyme de l’entrevue de Bayonne.