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Tristesses de l’engagement : l’affectivité dans le discours politique sous le règne de Charles VI

Jean-Claude Mühlethaler

Jean-Claude Mühlethaler, « Tristesses de l’engagement : l’affectivité dans le discours politique sous le règne de Charles VI », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 24, 2012, 21-36.

Extrait de l’article

La notion d’engagement littéraire est intimement liée au nom de Jean-Paul Sartre. Mais, depuis toujours, des écrivains ont été confrontés à des situations de crise qui ont amené les uns ou les autres à prendre conscience de leur responsabilité politique. Ceux-ci se sont sentis personnellement concernés par la tragédie que traversait leur pays ; ils se sont trouvés – pour reprendre la métaphore que Sartre emprunte à Pascal – « embarqués » et ont pris la plume sous le poids des événements : « Vous n’estes spectateurs, vous estes personnages », écrivait Agrippa d’Aubigné à l’adresse des Français pris dans la tourmente des guerres de religion. Aux yeux du poète et soldat protestant, il n’était plus possible de rester sur le rivage et plaindre de loin, « oisivement » (v. 175), le navire ballotté par les flots. Ne pas le secourir, par l’épée et/ou par la plume, revenait à se retrouver soi-même en danger de mort !

La « vive fureur » (v. 79) de Melpomène traverse les Misères. Elle désigne la nature de l’inspiration du poète, témoin d’un drame qui suscite en lui des sentiments d’une rare violence. Tout le monde ne réagit pas comme Agrippa d’Aubigné, mais – de la colère à la pitié en passant par la tristesse – les marques de l’affectivité semblent être un trait récurrent dans la posture de l’écrivain engagé. Même un Ronsard, qui répond volontiers aux violences endémiques et à l’instabilité de toute chose en rêvant de repos ou en chantant la fuite dans un monde idyllique, affirme qu’il ne saurait rester de « plomb » ou de « bois »7, quand éclatent les guerres de religion. Expression d’une subjectivité revendiquée, les marques de l’affectivité sont un élément constitutif de l’ethos du poète dont elles légitiment la prise de parole pour dénoncer une situation inacceptable. L’écrivain engagé fait ici sienne une démarche que ne dédaignait pas l’orateur antique : on ne saurait convaincre son auditoire, avait écrit Cicéron, sans éprouver les passions qu’on veut lui faire ressentir, à condition toutefois de les maîtriser par l’art de la rhétorique.

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