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Luisa Capodieci : Medicæa Medæa. Art, astres et pouvoir à la cour de Catherine de Médicis

Caroline zum Kolk

Comment citer cette publication :
Caroline zum Kolk, "Luisa Capodieci : Medicæa Medæa. Art, astres et pouvoir à la cour de Catherine de Médicis", compte rendu, Paris, Cour de France.fr, 2012 (https://cour-de-france.fr/article2397.html). Compte rendu publié le 1er mai 2012.

Luisa Capodieci, Medicæa Medæa. Art, astres et pouvoir à la cour de Catherine de Médicis, Genève, 2011, Librairie Droz.

Frances Yates avait attiré dans les années 1950 l’attention sur le caractère incantatoire des spectacles de cour sous les derniers Valois : les entrées, festivités et ballets étaient chargés non seulement d’images allégoriques humanistes mais aussi d’un contenu magique ou talismanique, établissant un lien entre les humains et les forces astrales et spirituelles [1]. Ces travaux pionniers, inspirés par Aby Warburg, ont eu un effet à la fois stimulant et polarisant : le « magisme à outrance » de Yates, mettant en relation avec des pratiques magiques un grand nombre de festivités et d’œuvres d’art, a rebuté une partie de la communauté scientifique.

Il a fallu attendre presque cinquante ans pour que le sujet du rapport entre art et magie à la cour des derniers Valois soit abordé de nouveau. Luisa Capodieci, historienne de l’art, propose une étude de plus de six cents pages qui vise à traiter cette question, en prenant en compte les apports scientifiques récents, tout en adoptant une méthodologie rigoureuse.
Capodieci limite son étude aux années 1547-1581 et la dédie à une figure emblématique qui a dominé la vie curiale pendant ces années, Catherine de Médicis. Emblématique non seulement par son implication dans la production de spectacles à la cour, mais aussi par sa réputation sulfureuse en matière de magie que Capodieci analyse dans la première partie du livre. D’après les pamphlets qui circulaient à l’époque, Catherine de Médicis aurait importé les pratiques de la magie en France en amenant d’Italie une cohorte d’astrologues et de magiciens. Elle se serait servie de leur art pour asseoir et élargir son pouvoir et n’aurait pas hésité à recourir au poison, pratique étroitement associée à la magie.
Luisa Capodieci démontre le manque de fondement de ces allégations : les astrologues apparaissent sous le règne de Charles V à la cour de France et n’ont pas bénéficié d’une faveur particulière de la part de Catherine de Médicis. Mais la « légende noire » de la reine magicienne persiste à travers les siècles ; des éléments du mythe se découvrent dans des études et biographies même récentes.
Capodieci présente ensuite les concepts qui sont à la base de la magie et de l’astrologie au XVIe siècle, dont celui de la théurgie, pratique visant à entrer en contact avec le divin par la communication avec des esprits bienveillants. Elle étudie des objets ’magiques’ qui auraient appartenu à Catherine de Médicis (dont le fameux talisman de la reine) ainsi que deux documents. La gravure Catherine de Médicis et la prédiction du miroir est bien connue des historiens : elle montre la reine et un astrologue devant un miroir, pratiquant un rituel pour savoir qui succédera à son mari défunt. Le miroir fait apparaître les rois de la dynastie des Bourbons, annonçant ainsi la fin imminente du règne des Valois.
Capodieci établit que cette légende nait à la fin du XVIIe siècle ; c’est aussi sous le règne de Louis XIV qu’apparaît le fameux talisman de Catherine de Médicis, évoqué pour la première fois en 1696 dans un ouvrage anonyme. L’auteur prend appui sur cet objet pour présenter les croyances et fonctions attachées aux talismans. Son étude démontre qu’il s’agit d’un simple « sceau d’amour », dépourvu de toute magie noire. Aucun indice ne permet de relier à Catherine de Médicis au talisman et au bracelet ; leur existence se rattache davantage à la légende noire de la reine qu’à une réalité historique.
Les images étudiées dans le chapitre suivant se présentent différemment. Commandées ou approuvées par Catherine, il s’agit d’œuvres qui « mettent en évidence un paradoxe : la Reine noire se voulait manifestement ‘Reine de lumière’ » (p. 155). En s’inspirant d’auteurs contemporains du règne de Catherine de Médicis et Henri II, Capodieci entreprend l’interprétation de devises du couple royal qui entretiennent un rapport avec les astres : le croissant de lune du roi et l’arc-en-ciel de la reine. L’auteur met en évidence les nombreuses significations qui se rattachent à ces devises et note qu’aucune ne relève de la magie ; elle s’oppose ainsi à l’hypothèse de T. Greene qui leur attribuait une fonction de talisman.

La deuxième partie du livre est consacrée à l’étude d’autres images relevant de l’iconographie royale. Capodieci définit à cet endroit ce qui caractérise une image dotée d’un pouvoir magique : il s’agit du produit d’un « rituel à l’élaboration variable, mais toujours caractérisé par le respect de configurations célestes particulières » (p. 212). La présence des planètes, de signes zodiacaux et de décans ne font pas partie de ce registre si leur fonction se réduit à une représentation encyclopédique, illustrative ou allégorique. C’est uniquement si l’ensemble de la composition répond à un système dont la connotation astrologique paraît indiscutable qu’on peut parler d’images relevant de la magie astrale (ou talismanique). La signification astrologique de la composition est à établir en puisant dans les traités de magie astrale disponibles au moment de sa production.
Capodieci applique cette méthodologie et définition à trois objets d’étude : la galerie d’Ulysse et le décor de la chambre du roi à Fontainebleau ainsi qu’un portrait d’Henri II conservé à Chantilly.
L’analyse du décor peint du plafond de la galerie d’Ulysse est remarquable par sa clarté et sa précision. L’histoire d’Ulysse est considérée dès le Moyen-Âge comme une allégorie du voyage de l’âme dans la vie et se prête ainsi tout particulièrement à revêtir un contenu métaphysique et astral. Les sujets ainsi que l’organisation des scènes et le lien que les scènes centrales entretiennent avec les images secondaires sont analysés en prenant appui sur les écrits de Guillaume Budé et de Jean Dorat. L’auteur déchiffre les sujets majeures traités par les peintures : le roi en tant que gouverneur du navire de l’Etat, l’ordre du monde céleste et le voyage de l’âme. Aucune signification talismanique ne réside dans ces œuvres, comme aussi dans le deuxième objet d’étude, le plafond planétaire de la chambre du roi, conçu selon le système ptoléméen par Delorme et Perret. Mal remonté lors de son déplacement dans l’appartement des Reines mères au XVIIe siècle, Capodieci identifie l’ordonnance d’origine et le sujet principal de la composition qui met en scène l’aspiration du roi à la monarchie universelle, un sujet iconographique récurrent sous les derniers Valois.
L’auteur continue d’explorer les différents courants de magie existants à l’époque en étudiant d’autres œuvres produites par les artistes proches de la cour. Courants qu’elle présente en s’appuyant sur une documentation riche et solide, comme la théologie naturelle dont aurait été inspiré Philibert Delorme, la démonologie antique ou l’art divinatoire. Cette dernière est indissociable du gouvernement qui repose sur la capacité de prévoir le futur ; d’après ses adeptes, c’est grâce à la science des astres qu’il devient possible de saisir la volonté divine et d’infléchir le cours des événements. Les éclipses, comètes et autres phénomènes observés dans le ciel sont des « évènements déclencheurs » permettant aux astrologues d’émettre des prédictions. Réalisés par des hommes proches de la cour, ces prédictions sont généralement conformes aux aspirations du souverain, prédisant la réussite de ses entreprises et le bien-fondé de son gouvernement : « La tâche de fournir une justification ‘scientifique’ aux prétentions du monarque revient aux astrologues » conclut Capodieci ; leur production « s’insère pleinement dans le courant des panégyriques, traités juridiques et prophétiques qui célèbrent la nation France et la primauté de son souverain » (p. 422-423).

La troisième partie du livre traite des images astrologiques qui apparaissent dans le cadre des festivités et entrées organisées par la couronne. Capodieci propose de ne pas étudier les entrées et leurs décors comme une suite de scènes indépendantes, mais comme un ensemble qui forme un récit cohérent : « La narration qui s’articule le long de la route principale, transformée en voie sacrée, développe le thème de l’existence providentielle du roi destinée à s’achever dans l’inévitable apothéose » (p. 450). Quatre entrées organisées pour Henri II et Catherine de Médicis servent d’exemple : Reims (1547), Lyon (1548), Paris (1549) et Rouen (1550). Les entrées à Paris et à Rouen se distinguent par la complexité de leurs allégories et par l’inspiration antiquisante des décors ; tous suivent néanmoins un schéma similaire organisé autour de trois sujets : le premier concerne la venue providentielle du roi dans son royaume, son eucharistie. Le deuxième thème traite du rôle messianique du roi : par son rapport privilégié avec Dieu, le roi reçoit les bienfaits divins et les transmet au royaume qui connaît ainsi un âge d’or. Le cycle s’achève avec la mort du roi : sa tâche accomplie, le roi monte au ciel où il rejoint les immortels avec qui il suit de sa demeure céleste les vicissitudes terrestres.
Ce fil conducteur se transforme sous l’influence de la crise religieuse et des guerres civiles. Les entrées organisées pour Charles IX mettent en avant les bienfaits de la concorde et les symboles chrétiens et catholiques qui encadrent plus qu’auparavant les divinités antiques, atténuant leur caractère païen et subversif. Apparaît aussi « la vogue égyptisante » (p. 499) qui complique l’iconographie du discours. Sous le règne d’Henri III, le sujet de la concorde est progressivement remplacé par l’image du roi pieux. La composante mystique et religieuse du pouvoir royal est soulignée à Reims en 1575 et à Orléans en 1576.
Amusante est la réflexion d’un témoin de l’entrée d’Henri II à Paris qui admet qu’il s’agit là « d’une chose d’un grand artifice et quasi incompréhensible ». Les hiéroglyphes et divinités égyptiennes ajoutent à la confusion. Capodieci est catégorique à leur sujet : « il va de soi que l’obscurité de ces artifices érudits n’implique pas un pouvoir talismanique comme certains l’ont supposé » (p. 523). Ce constat vaut pour les entrées dans leur ensemble dont la fonction astrologique se limite à quelques discrètes allusions horoscopiques (p. 524).

Les fêtes ont-elles été davantage marquées par l’astrologie et la magie que les entrées ? Un bon nombre d’historiens et d’historiens de l’art partent de ce principe. Capodieci commence l’étude des fêtes par l’analyse de trois tableaux, les Triomphes des Saisons d’Antoine Caron, qui présentent des cortèges et des chars, accessoires indispensables pour leur organisation. Le résultat est sans appel : contrairement à ce qu’ont avancé D. Crouzet et J. Ehrmann, ni le décor, ni les costumes, ni les parcours ne permettent de parler de fêtes talismaniques ou magiques ; leur attribuer cette qualité résulte d’un « usage inadéquat de la notion de magie astrale » (p. 561).
L’analyse du rapport entre ballet de cour et magie clôt le livre. Trois ballets sont au cœur de l’étude, organisés en 1572 (noces d’Henri de Navarre et Marguerite de France), 1573 (réception des ambassadeurs polonais) et 1581 (noces du duc de Joyeuse et Marguerite de Vaudémont-Lorraine). Ce dernier avait fait l’objet d’un article très remarqué de F. Yates, réédité sur Cour de France.fr [2] qui avait donné une nouvelle orientation aux recherches sur les fêtes de cour. L’historienne avait attribué à ce ballet la fonction d’un « talisman, autrement dit […] une tentative faite pour attirer l’influence des astres dans la direction voulue au moyen d’un modèle visuel », une vision largement partagée par les historiens du théâtre et de l’art.
L’étude attentive des descriptions des ballets mène Luisa Capodieci à une autre conclusion. Les allusions aux étoiles n’ont qu’une valeur allégorique ou encyclopédique et les parcours des danseurs ne permettent pas d’établir un rapport avec des rituels ou figures astrologiques. Le message émis par ces ballets ne s’adresse pas aux étoiles, mais aux spectateurs qu’il s’agit de convaincre du rôle messianique du roi de France.

L’étude de Louisa Capodieci n’est pas d’une lecture facile : l’organisation du livre manque de temps en temps de clarté et se trouve compliquée par un grand nombre de « parenthèses thématiques ». Un lecteur peu versé en astrologie et en magie aurait apprécié l’existence d’un chapitre à part qui présente brièvement l’histoire de ces pratiques et les courants majeurs qui existaient au XVIe siècle.
Ces quelques réserves mises à part, le livre de L. Capodieci brille par un choix thématique pertinent et une méthodologie exemplaire. La précision avec laquelle l’auteur définit le caractère talismanique d’un objet et la méthodologie appliquée à leur identification donne un résultat sans appel : contrairement aux théories émises par F. Yates et d’autres historiens et historiens de l’art, la magie avait une place très réduite à la cour de Catherine de Médicis et dans la production artistique de son temps en France. Les œuvres marquées par elle se comptent sur les doigts d’une main et consistent en des horoscopes et quelques divinations liées aux phénomènes célestes ou à des événements particuliers. Leur rareté est frappante, d’autant plus que les images astrologiques sont très prisées en Italie à la même époque et que les érudits proches de la cour de France s’intéressent de près à la divination, la démonologie et la théurgie. La crise religieuse explique peut-être cette absence d’images talismaniques ; l’auteur n’émet pas d’autres hypothèses à ce sujet, mais souligne que les thèmes traités par l’iconographie royale appartiennent davantage à la philosophie platonicienne et hermétique qu’à l’univers de la magie : « L’harmonie universelle, l’Âge d’or, l’identification entre la France et le ciel, l’apothéose sidérale : ces thèmes, répétés avec une insistance qui frôle la monotonie » (p. 636) dominent le discours. Il s’agit là d’un imaginaire bien mieux adapté aux besoins de la représentation royale qu’un courant de pensée difficile à contrôler et contesté par l’Église.

Notes

[1Voir Frances A. Yates, « Poésie et musique dans les « Magnificiences » au mariage du duc de Joyeuse, Paris, 1581 », dans Musique et Poésie au XVIe siècle. Actes de colloque, Paris, 1953, éd. par J. Jacquot, Paris, CNRS, 1954, p. 241-264 et Frances A. Yates, Girodano Bruno et la tradition hermétique, Paris, Dervy-Livres, 1988 (orig. 1964).

[2F. A. Yates, « Poésie et musique dans les « Magnificiences » au mariage du duc de Joyeuse (...)