Accueil / Individus, familles, groupes / Nobles et Tiers Etat / Etudes modernes > Les élites du haut Moyen Âge. Identités, (...)

Les élites du haut Moyen Âge. Identités, stratégies, mobilité

François Bougard, Geneviève Bührer-Thierry, Régine Le Jan

Bougard, François, Bührer-Thierry, Geneviève, Le Jan Régine, « Les élites du haut Moyen Âge. Identités, stratégies, mobilité », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2013/4 (68e année), p. 1079-1112.

Extrait de l’article

La notion d’élites sociales, aujourd’hui souvent pensée en fonction des définitions de la sociologie politique, n’était pas étrangère aux auteurs anciens, même si le mot lui-même ne faisait pas partie de leur lexique. En 920, à Soissons, les grands de Francie occidentale s’étaient détachés de Charles le Simple auquel ils s’étaient ralliés en 898, au prétexte, selon le chanoine de Reims Flodoard, que celui-ci refusait de se séparer de son favori, Haganon, un homme de condition « médiocre » dont il avait fait un puissant (quem de mediocribus potentem fecerat) : en d’autres termes l’un des égaux des princes. Un autre Rémois, le moine Richer, prête à l’archevêque Adalbéron un discours dans lequel, au moment d’élire le successeur du Carolingien Louis V en 987, celui-ci se serait déclaré en faveur du duc Hugues Capet contre le duc Charles, oncle du défunt, au motif que ce dernier aurait perdu sa légitimité en s’abaissant à épouser une femme « de l’ordre militaire », de militari ordine.

De telles classifications ont donné matière à d’amples développements pour tenter de dégager une stratification socio-juridique, ce qui a toujours conduit à une impasse. Ainsi, les arguments avancés contre Haganon n’induisent pas l’existence d’une catégorie établie de mediocres, qui se situerait entre les liberi et les potentes ou les nobilissimi, puisque notre homme appartenait sans doute aucun à la noblesse. Ils suggèrent plus simplement l’existence de « classes moyennes » entre les plus puissants et les plus riches d’une part, les paysans d’autre part. Quant à l’ordo militaris, il se rapporte plus sûrement à l’ordre équestre romain, sous la plume d’un Richer féru de lectures antiques, qu’à l’ordo des belligerantes cher aux théoriciens des trois ordres. Les historiens médiévistes sont longtemps restés prisonniers de classements trop rigides et souvent anachroniques. Comme les lois des Francs et des Lombards ignorent toute distinction entre nobles et libres, ils ont par exemple longuement discuté l’existence d’une noblesse au haut Moyen Âge, alors que d’autres sources, normatives ou non, font mention de nobiles, de nobilissimi, de primores natu, aussi bien que d’illustri, d’illustrissimi, de proceres, de principes regni : autant de termes qui semblent faire davantage référence à la fonction ou à la notabilité qu’à la naissance, mais qui tous s’avèrent le plus souvent synonymes. En Allemagne, on a considéré que les membres du groupe dirigeant formaient bien une noblesse (Adel) fondée sur la naissance et le service du roi, noblesse dont étaient discutés seulement les origines et le devenir, tandis qu’en France, où le modèle de l’Ancien Régime et de la société d’ordres était si prégnant qu’on refusait l’idée qu’une noblesse ait pu exister sans fondement juridique ni privilèges inscrits dans la loi, on en tenait pour une aristocratie.

Lire la suite (cairn.info)