Gérard Jubert : Théophraste Renaudot (1586-1653). Père des journalistes et médecin des pauvres
Stanis Perez
Comment citer cette publication :
Stanis Perez, "Gérard Jubert (éd.) : Théophraste Renaudot (1586-1653). Père des journalistes et médecin des pauvres", Paris, Cour de France.fr, 2010 (https://cour-de-france.fr/article1572.html). Compte rendu publié en ligne le 1er juin 2010.
Gérard Jubert (éd.), Théophraste Renaudot (1586-1653). Père des journalistes et médecin des pauvres, Paris, Honoré Champion, 2005.
« Il n’appartient qu’à ceux qui escrivent de juger de la difficulté qu’il y a de plaire à tout le monde, mesme en fait de nouvellles, de la bonté desquelles chacun juge selon l’interest qu’il y prend ».
Cette phrase, à la manière d’une estocade, semble faire mouche contre les nombreux détracteurs de Théophraste Renaudot. C’est à ce polygraphe et médecin, inventeur du journalisme et défenseur de la médecine « chymique », que l’ouvrage de Gérard Jubert est consacré. Riche de 444 textes, extraits ou références détaillées, le corpus établi à partir des fonds des Archives nationales, permet d’aborder la carrière du fondateur de la Gazette de France sous l’angle d’une enquête archivistique minutieuse. Les innombrables arrêts et décisions de justice concernant la carrière de Renaudot sont savamment recensés et classés chronologiquement alors que d’autres documents, tirés de fonds français parisiens, provinciaux voire étrangers complètent le dossier. Les autres membres du clan, les enfants surtout, sont aussi mieux connus grâce aux actes notariés qui permettent de retracer leur parcours et leur tentative d’ascension sociale.
Si c’est moins la carrière de médecin qui a intéressé Gérard Jubert (il a notamment utilisé les minutes de l’étude LVII du notaire Jacques Belin), les nombreux démêlés qui ont opposé Renaudot à la corporation des médecins de la faculté nous sont restitués dans le détail. Fort de son appui royal et curial, Renaudot a multiplié les initiatives et les activités censées soigner cette gangrène de l’Etat qu’était la misère. En l’occurrence, l’importante Requête en faveur des pauvres présentée au roi (décembre 1626, document 65) n’omet de s’appuyer sur des considérations d’ordre médical et, parlant des misérables qui pullulent dans le royaume, l’auteur souligne : « Qui plus est par leurs ordures et saletez ilz infectent l’air et la terre de mille maladies contagieuses et provoquent le courroux du ciel par leurs volz, jeux de hazard, blasphemes, profanations des jours, des lieux et des choses sacrées, ivrogneries, paillardises, noises, meurtres et autres crimes enormes (…). » Ce texte fera le début de la fortune de Renaudot, la cour lui accordant le titre de « médecin ordinaire du roi », la bienveillance de Richelieu aidant. L’année suivante, le cardinal-protecteur se voit même dédier un éloge à la prose tout à fait caractéristique des flatteurs de la cour (document 67).
On peut mesurer sans mal l’importance des possessions, propriétés et rentes diverses dont jouissait le médecin gazetier, investisseur avisé comme la plupart des bourgeois de son temps. L’ouverture d’établissements de mont-de-piété (document 139), tôt critiqués par les médecins parisiens, était censée combattre la misère mais aussi financer les nombreux projets de Renaudot. Car en plus d’être un dépôt de petites annonces, le Bureau d’adresse faisait aussi office de salle des ventes (document 141). La diversification extrême des activités du médecin a attisé la colère de la faculté de Paris et l’on voit bien se multiplier les diatribes et les procédures au fur et à mesure que le règne de Louis XIII touche à sa fin. La confiance personnelle du roi – la Gazette est un excellent relais de la propagande officielle en même temps qu’un miroir élogieux de la Cour - ne saurait protéger quiconque après la fin de son règne. Annotant le périodique à la date du 28 juin 1642, Renaudot note, un rien mélancolique : « L’11, il ne s’est rien passé qui merite d’estre escrit » (document 224). A cette date, la levée de bouclier de la faculté contre ses deux fils, Eusèbe et Isaac, annonce le changement d’atmosphère des années 1643-1644.
En l’occurrence, un arrêt du parlement du 1er mars 1644 scelle le sort de Renaudot en lui interdisant d’exercer la médecine et de tenir ses conférences au Bureau d’adresse (document 289). C’est surtout l’ampleur de son patrimoine mobilier et immobilier qui semble avoir choqué ses pairs qui insistent au passage sur le détournement de son projet initial : « Ses bureaux sont pour donner employ aux pauvres valides et il leur vend et prend des droicts et courtage. Il se vente de consultations charitables. Il a un valet qui tient une boitte où il faict laisser une partie des charités receues aillieurs (sic) et decime ainsi les aumosnes (…). Encores son intention n’est elle pas de se contenter de ces petits gains, mais de se rendre maistre et proprietaire de quelque bel endroict de Paris. Et de faict, il est constant qu’il avoit surpris du feu roy don des places qui sont sur les boulevards de la Porte Sainct-Anthoine qu’il a ozé importuner la royne regente de luy assigner un autre endroict soubz pretexte d’y bastir un hostel des Consultations charitables (…). »
La querelle de l’antimoine aidant, le seul privilège qui lui reste, avec le titre d’historiographe du roi, est celui de l’impression de la Gazette, publication dont le succès ne s’est jamais démenti. En 1652, son mariage avec Louise de Mascon est même dissout (documents 427 à 434), beau prétexte pour que la Muze historique égratigne un peu plus un médecin en perte de considération et de pouvoir. Un an plus tard, Renaudot meurt « gueux comme un peintre » (dixit Guy Patin) en laissant son fils, Théophraste II, conseiller à la cour des Monnaies et responsable de la Gazette.
Sans conteste, le Corpus Renaudotianum, comme Jubert l’appelle, est une somme documentaire considérable, correctement présentée et très fidèle aux manuscrits originaux, même si les quelques pages d’introduction auraient pu faire office de biographie dépoussiérée pour ce personnage au destin hors du commun et à l’esprit d’entreprise tout à fait exceptionnel. A mi-chemin entre la Cour et la Ville, ménageant ses appuis et cherchant à éradiquer la misère (et notamment la sienne !), Théophraste Renaudot a marqué son temps et a laissé une quantité de documents qui attendent encore d’être synthétisés et critiqués. Voilà, à n’en pas douter, de solides assises pour une biographie à venir du médecin gazetier.
Stanis Perez