Une nouvelle école pour les nobles parisiens : l’académie de Jacques Bourgoing
Andrea Bruschi (éd.)
Comment citer cet article :
Andrea Bruschi (éd.), Une nouvelle école pour les nobles parisiens : l’académie de Jacques Bourgoing, Paris, Cour de France.fr, 2008. Document inédit publié en ligne le 1er décembre 2008 (https://cour-de-france.fr/article722.html).
Introduction
Le texte qui suit est extrait d’une brève pièce imprimée, in -8°, conservée à la bibliothèque Mazarine de Paris (recueil coté 33727) et intitulée L’Academie du Roy, pour l’instruction de la ieunesse. Le lieu et la date de publication, ainsi que le nom de l’imprimeur-éditeur, sont absents ; le sous-titre nous révèle cependant l’identité de l’auteur. Le « S. & Antecesseur de Belleperche » est Jacques Bourgoing, né en 1543 d’une famille de robins originaire de la région de Nevers et investie du fief de Poissons à partir de la seconde moitié du XVe siècle. Avocat du Parlement et conseiller de la Cour des aides dans les années 1570 et 1580, Jacques mourra avant 1600, après avoir publié, en 1583, le premier (et seul) volume de son De origine, usu et ratione vulgarium vocum linguae Gallicae, Italicae & Hispanicae, dictionnaire étymologique comparé des langues romane [1].
Les pages de L’Academie du Roy témoignent du tout dernier projet de Bourgoing, destiné à rester lettre morte : celui de la création d’une école spéciale. Le document est la transcription, plutôt confuse, d’une oraison offerte à Henri IV le 13 décembre 1597, jour du quarante-quatrième anniversaire du roi, dans laquelle le juriste chante les louanges du souverain par la recherche des diverses répétitions et significations du nombre 4, symbole de la puissance du monarque et lié à son titre aussi bien qu’à son âge. Mais cette « harengue » contient aussi le manifeste et les programmes d’un nouvel institut d’enseignement, dont Bourgoing est le fondateur et le promoteur, visant à l’éducation des gentilshommes « d’épée » en particulier, mais aussi des membres de la « robe ». C’est à l’occasion de la première réunion de cette « académie » nobiliaire au palais Petit-Bourbon, dans le faubourg parisien de Saint-Jacques, que Belleperche, le 5 février 1598, déclame publiquement le discours en question.
Au-delà de tout élan rhétorique et des innombrables digressions, le texte présente une proposition éducative d’autant plus intéressante qu’éloignée des plans d’études des institutions pédagogiques traditionnelles. En premier lieu, tous les élèves pourront tirer profit de l’école que le juriste entend ouvrir, car, à la différence de ce qui se produit dans les collèges et dans les universités, les cours s’y dérouleront en français. La langue vernaculaire deviendra un moyen privilégié pour la transmission de contenus scientifiques aux membres de la noblesse : les difficultés que pose l’assimilation des langues de l’Antiquité, en effet, finit le plus souvent par détourner les gentilshommes de l’étude des disciplines théoriques. Le français est d’ailleurs accepté dans la production écrite aussi bien que dans les traductions ; pourquoi ne pas y avoir recours lorsqu’il s’agit d’exposer les sciences de vive voix ? Comme le rappelle l’inscription que Belleperche a fait placer dans la salle de la nouvelle académie, « Quarta tribus priscis subdatur Gallica linguis », l’on attribuera donc à cet idiome la même dignité qu’on reconnaît à l’hébreu, au grec et au latin.
L’importance du dessein du seigneur de Poissons réside, en second lieu, dans la portée « encyclopédique » qu’il souhaite donner à l’activité didactique de son institut. L’auteur souligne, à maintes reprises, que l’académie assurera une éducation « accomplie », complète, puisque fondée (p. 2) sur le binôme « armes et lettres » : toutes les disciplines, tant intellectuelles que militaires, peuvent être réduites en préceptes clairs et assimilées méthodiquement. L’enseignement de l’escrime, de l’équitation, de la lutte, de la natation, des techniques de chasse sera donc accompagné de celui de l’histoire, de la poésie, des mathématiques, de la philosophie morale, de la médecine, du droit et des arts libéraux. Les cours en matières théoriques que Bourgoing dispensera au Petit-Bourbon complèteront ainsi les « exercices » militaires enseignés aux nobles dans une école d’équitation déjà existante, ouverte dans la capitale en 1594 et dont l’auteur parle comme si elle faisait corps avec le nouvel institut : il s’agit, sans doute, de la célèbre académie équestre de l’écuyer dauphinois Antoine de Pluvinel.
Le projet de Belleperche n’aura aucune suite ; cependant, de cette proposition s’inspireront probablement, au cours du XVIIe siècle, deux autres desseins d’académies pour la noblesse, également éphémères. En 1612 David de Flurance Rivault inaugure à la cour une école nobiliaire dont les leçons auront lieu non seulement en latin, mais encore en français, italien ou espagnol ; véritable annexe de l’Académie française, le collège-académie de la ville de Richelieu, actif entre 1640 et 1642 sous la direction du médecin-prêtre Nicolas Legras, ambitionne d’enseigner aux gentilshommes toutes les « sciences » (c’est-à-dire les disciplines théoriques, notamment philosophiques) en langue vernaculaire [2].
Andrea Bruschi
Université de Pise
Note de l’éditeur La pagination a été introduite par l’éditeur.
(P. 3)
Jacques Bourgoing, L’Academie du Roy, pour l’instruction de la ieunesse […]
s.l. (Paris ?), s.n., s.d. (1598 ?)
AU NOM DE NOSTRE SEIGNEUR SESUS [sic] CHRIST
L’Academie du Roy, pour l’instruction de la ieunesse. Harengue panegyrique desdiee à la Magesté [sic] du Roy Henry Quatriesme. Recitee à l’ouverture de son Academie. L’Argument et subget, tendant principalement au nombre de Quatre admirable, apparoistra l’autre part. Par le S. & Antecesseur [3] de Belleperche Cons. du Roy & l’Intendant Professeur., Les presentes se trouvent. Au petit Bourbon [4], logis de l’ACADEMIE : aux faulxbourgs sainct Iacques de Paris.
AVEC PERMISSION
Messieurs, oyez, lisez : eslevez vostre cœur
Au bien de la patrie à proufit & honneur.
Nostre bon Roy des siens ne requiert flatterie.
Et d’Histoire le vray s’oppose à menterie.
[Les pages qui suivent ne sont pas numérotées]
Extraict du Placet et Requeste treshumble presentée par le S. de Belleperche, & accordée par sa Magesté.
L’Essay & subgect de la Harengue pour l’an present & Quarente Quatriesme de l’aage de sa Magesté : Premiere de celles promises chascun an au iour de sa nativité : En l’honneur de son Nom & pour action de graces.
Du Sauveur, de la Vierge, & du S. Precurseur, Solennelle aux Chrestiens est la triple naissance : Pour Quatriesme d’Henry Roy & conservateur, Le iour de Luce [5] soit memoire heureuse en France.
Presenté à sa Magesté le iour & feste de saincte Luce, tresheureux iour pour la naissance & lumiere donne de Dieu au Roy, & pour la naissance & lumiere qu’il plaise au Roy donner à l’ACADEMIE entiere & accomplie de la ieunesse. Ce qui se trouve à propos & aucunement fatal, signifiant LUX Latin, Italien & Hespagnol lumiere. Et LUCINA estoit anciennement la Deesse des nativitez. le 13. de Decembre 1597.
La presente Harengue & oraison conceue sur l’ouverture de L’ACADEMIE & pour action de graces de la permission donnée par la digne voix Royalle, de tenir & exercer l’ACADEMIE pour l’instruction entiere & accomplie de la ieunesse : Et dressée en l’honneur de sa Magesté & sur le subgect principalement du nombre de Quatre, admirable au ciel, en terre, au Roy & Royaume : Fust recitée & prononcée en grande & tres-honorée assemblée : à une heure attendant deux, le cinquieme de Febvrier 1598. seiziesme iour de Ieudy complet depuis celuy de Sainct Denys : En la ville & université de Paris. Par nous Iacques Bourgoing de Belleperche & S. de Poissons Parisien, Conseiller du Roy cy devant general en sa Cour des Aydes à Paris, Antecesseur au Droict n’agueres Professeur en l’Université du Droict Romain & François à Moulins en Bourbonnois [6].
Au nom de Nostre Seigneur Iesus Christ.
Messieurs :
Pour quatre causes & raisons, nous sommes incitez de devoir, invitez par exemple, à invoquer le Nom (p. 4) de Dieu : du vray Dieu, un en trois & trois en un, Nostre Seigneur Iesus Christ, engendré de Dieu le Pere, conceu du Sainct Esprit, né de la Vierge Marie. Debvoir, disie, de Chrestien […],
La premiere cause : De ne rien commencer en faict ny en parole, ny iour & an, que par le nom & soubz l’honneur de Dieu. La seconde, Que l’entreprise de cest œuvre pie & bien public, de duree à la posterité, de seminaire à la Republique, de service au Roy pere de la patrie, & d’utilité à la patrie, de l’instruction à la Ieunesse, que nous nommons ACADEMIE, doibt estre ourdi & fondé sur le Nom de Dieu. La troisiesme, Que ceste invocation en priere, ceste salutation d’entree, nous addresse & soustienne à bien dire, & à toucher en reverence redoubtée, les choses & secrets à Dieu appartenants & reservez : qui sera sur les trois Nativitez, de Nostre Seigneur, de la Sacree Vierge, de Sainct Iehan Baptiste. Pour QUATRIESME Nativité, & QUATRIESME cause d’invocation : pour ne parler indignement de la bouche du Roy, & n’esblouïr nos yeux au regard de sa Majesté […] : Qui est le principal but de ceste Harengue, & nostre subgect entrepris : pour toute recognoissance de son bien, encouragement & acheminement à nostre promis & esperé debvoir.
Mais ie sens que ie m’eslance bien avant & resoulz bien tost la proposition de nostre discours : sans avoir imploré, Messieurs, le bon vent de vos faveurs, ny estre asseuré de l’assistance de vos benevolences. A quoy Quatre pareilles causes m’asseurent, & me renforcent de courage, & d’esperance. Que comme personnes pies & Chrestiennes, recevez & embrassez tous ceux qui viennent de ceste part du grand Iesus Christ nostre Chef. Que la bien-venuë de ceste ACADEMIE Royalle, vostre, instructive de vos filz & petits filz, vous a esté aggreable & ioyeuse : Ainsi que (graces à Dieu) à esté apperceu privément & en publicq, du particulier au general. Que rien ne vous sera plus venerable en l’esprit, & mieux receu aux aureilles que des nativitez & advenements des trois plus excellentes & precieuses personnes, qui ayent ésté sur terre : à la suitte desquelles est produicte celle de nostre Roy & conservateur. Quatriesme & finale cause pour gagner vos faveurs & attirer vos benevolences : Que voudrez, humainement & patiemment une heure de temps ouïr, non pas pour moy, mais comme un parlant de la Majesté Royalle : d’un Roy qui a tant & tant patienté de mauvaises heures iours mois & ans pour nous : ouïr, disie, les sentences que i’ay peu mediter, les fleurs que i’ay peu recueillir, sur un si hault & eslevé subgect, par mon humble stile & pouvoir.
En ceste esperance doncq ie passeray oultre Messieurs : & trameray la toile de mon oraison, aussi asseurément que courageusement l’ay ourdie : A la faveur & couvert des vos gracieuses benevolences & humains supportements : A l’exemple & observation digne d’estre mise en coustume, des anciens Orateurs Panegyricques, vers les Empereurs Romains, leurs patrons bienfacteurs & du publicq […] : aux iours de leurs nativitez ou d’entrées de l’an, & survenantes dignes occasions.
Reprenons donc de plus hault le fil doré de ceste ourdisseure, de l’invocation du Nom de Dieu : non l’invocation seulement du Nom : mais soubz l’invocation & soubz le Nom, imploration de son ayde, recours à sa bonté, asseurement en sa puissance. C’est le faict parfaict & comble accomply d’invocation Quaternaire. […] Et non seulement en Quatre lettres : mais en Quatre vertus, en Dieu, nostre Seigneur Iesus Christ, bon puissant sage & eternel, Dieu en Trinité & Unité. Ie parle voirement de Dieu & de ses grands mysteres, moy indigne : mais non indignement : ains en verité, ministrateur de la science du Droict, petite Theologie, cognoissance des choses divines & humaines conioinctement : non comme disputateur mais recitateur. (P. 5)
Or plus desirément & dés l’entrée i’ay faict mention de Dieu : i’ay mentionné & exemplifié le Quaternaire plus parfaict des nombres terriens & humains, voire cedant seulement au ternaire en la sacrée saincte Trinité : Pour mieux representer la prochaineté & conformité divine & fatale du Roy Henry Quatriesme voire Quaternaire : lequel tant pour ses merites, que pour l’honneur de nostre oraison nous esleverons & magnifierons, tout au mieux que possible nous sera : sans ayde toutesfois de deux aydes ordinaires à plaisamment dire, menterie & flaterie : l’un & l’autre de nous vers sa Magesté ny requise ny necessaire.
Doncques pour le premier poinct : Nous disons & le sçavez trop mieux : Que toute conference de paroles & discours doit prendre son principe & entrée par le Nom de Dieu : En rencontres d’homme à homme, la pieté & honnesteté, saincteté & courtoisie s’entrebaisent & s’assemblent, en la priere de bon iour & bon an, referee briefvement & tacitement à Dieu. Dieu α & ω, commencement & fin de toutes choses […]. A quoy ie insiste d’avantage, pour estre ce temps attribué communément à l’ouverture & principe orbiculaire de l’année : A ce qu’il plaise à Dieu nous la donner bonne & heureuse : à la commencer poursuyvre & finir en la reverence & loüange de la Majesté Divine & Royalle.
Or si l’entrée & ouverture des choses iournaliere annuelle & temporelle, doibt estre en Dieu & de par Dieu : Combien à plus fort des choses de durée en effect, de perpetuité en vœus & desirs. Tel que nous esperons & augurons ladicte grace de Dieu aydant, en ceste structure d’Instruction & ACADEMIE […]. C’est vrayement ung tressomptueux & basilicq edifice, Palatine maison, bastie pour sçavoir & vertu : action trespie & vacation entre les hommes tres-honneste & non inferieure à autre quelconque : œuvre de Roy & Pere : Roy envers ses subgects, Pere envers la ieunesse de ses subgets. C’est L’ACADEMIE & particuliere Université : fille du Roy, comme Pallas de Iuppiter : Extraictes de son cerveau, qui est son conseil : Nosseigneurs le Chancellier [7], grand Ausmonier [8], Secretaires, Conseillers d’Estat & de ses Cours. Et duquel œuvre il ne me peult survenir en pensée & preuve : chose plus sublime, en estenduë de profict plus longue, en espesseur de loüange plus large.
[…].
Mais aucuns diront : cela est assez recommandé en France, les effects en apparoissent suffisamment sur tant de colleges es villes, bourgs, villages & maisons : Es Universitez, principalement ceste tant fameuse & ACADEMIQUE de Paris. Ie le dy pareillement & parleroy autrement & sottement contre moy : qui suis allaictant les Muses estrangeres un demy siecle du monde ou demy vie de l’homme : & sens n’en avoir assez beu d’autre cinquante ans. Mais ie souhaitte & travaille de bon zele à l’utilité & honnesteté : que ce bien publicq s’estende sur tous, l’Université soit universelle. Et que à ces trois langues l’Hebraïcque Grecque & Latine, antiques & estrangeres, difficiles & longues à apprendre, faciles & legeres à oublier, negligées de la milliesme partie & plus des vivans : A ces langues, dis-ie, non pourtant à reiecter & laisser en friches : ains à contregarder en leur splendeur & reserver en sainct depost d’antiquité & profondité de sciences : soit adiouxtée & mise apres, la langue Françoise & Gallicque, en la France & pays des Gaules : La Quatriesme aux trois, la fille aux meres, l’integrante aux moins necessaires, la fonciere aux estrangeres. Comme promect l’inscription du logis de l’ACADEMIE,
Quarta tribus priscis subdatur Gallica linguis.
Qu’il vous plaise doncq, Messieurs, vous estre tres briefvement & en son lieu & propre addresse, parlé de ceste ACADEMIE, & langue Françoise : Reïterant par sommes & articles expliquées en (p. 6) declaration & pour semences d’entiers discours & plus profond loisir, les raisons de nostre premiere proposition publiée par Quatre affiches [9] en ceste ville & grand [sic] cité, la Rome de France […].
Suffiroit pour toute raison la volonté du Roy : mais elles ioinctes ensemble, le souverain commandement à l’ordonnance considerée : faict double force & plus estroict embrassement d’un chacun […]. Ainsi plaist à ce grand Henry Quatriesme, à la proposition d’autant loüable au proposant & plus honorable à l’ordinateur, qu’elle est plus profitable & necessaire à la France […].
Passons aux autres considerations sommairement : De la bien-seance & utilité de ceste ACADEMIE & langue. Bien-seance, estant chose propre & convenable, en ce que chascun doibt estre instruict en sa langue, & le fust lors de la transmission du Sainct Esprit, sacrée fontaine des sciences, selon l’escriture. Utilité, qui ne doibt estre esquartée d’honnesteté : à fin d’estre mettable au service du Roy, aux affaires publicques & au faict particulier : & d’estre loüable à l’entre-gent des hommes. ACADEMIE ou Escole comme Platonique & excellente à nostre desir, pour enseignement & tradition des sciences en la Langue Royalle, nostre, belle, recherchée des autres nations. Langue, locution & voix de nostre Roy & Empereur […]. Nostre, naturelle, fonciere, en laquelle la mere nous a eslevé [sic], la nourrice allaicté. Serions nous plus tenus & enclins à l’autruy qu’au nostre [sic]. Quant à la beauté de la langue, encor que composée & paistrie de la corruption de la Latine ou Romaine, avec ses deux autres sœurs […]. Doulce & facile comme esperons se trouvera : ny si perplexe que la Grecque, si variable que la Latine, si aspirée que la Toscane, si pesante que la Castigliane [sic]. Ie laisse l’obscurité en menuës parties de l’Hebraïcque. Recherchée & cherie des autres nations & pays […].
N’ayons en cecy soupson de nouveauté ny moins de nouveauté blasmable. Et tout a esté nouveau premierement : soit cecy mis en forme d’establissement premierement & nouvellement, plustost dict que nouveau. Ioinct que le mal doit faire mal vouloir. N’est nouveau ce qui est utile au publicq, ce qui devoit avoir esté faict y a huit cens ans. Ce que les anciens nous monstrent à leur suitte & exemple. L’Hebreu preferoit sa langue à la Chaldaïcque & à toutes : le Grecq tenoit pour barbare & comme inhumain l’estranger : le langage Romain ou Latin estoit seul enseigné publicquement à Rome, & commandé d’estre enseigné aux Provinces & pays de subgection, d’où sont venus nos langages vulgaires demy-Latins. Nous doncq avecq les peuples de la Chrestienté surmontants de labeur & estude les anciens, retenons les trois anciennes langues meres & maistresses : Aussi qu’elles accordent & ne desdaignent le dernier & Quatriesme lieu & rang de compagnie, en son pays, sur son propre douaire fond & heritage, à la nostre.
Autre consideration tres apparente y a & raison pour oster l’opinion de nouveauté en ce faict : C’est pour le grand nombre de compositions & traductions iusques à pleines charges de chariots autant qu’en langue qui soit, qu’on trouve en François : Dont partie en Romans d’assez lourdes façons en mots & sentences, de nos ayeuls ausquels l’escole defailloit, desadvoüables par les petits fils, s’il se pouvoit. On ne peut nier que par l’escript on n’enseigne, par voix aussi : mais plus à penetrer par la tradition vocale en l’auditeur, que par la representation de l’escript au lecteur. Seroit il permis & concedé par privilege d’enseigner par escript : loisible de composer traduire escrire : prohibé & trouvé mauvais tenir exercice, escole ceste tant recommandée Platonique & Ciceronienne [10] (P. 7) ACADEMIE. Nous sommes conduicts par exemples, dict la Loy, & vivons en un Royaume de consequence […].
Et comme nostre vie soit distincte en deux estats ou robes à la Romaine & Grecque : la robe longue est plus de la cour & suitte des Colleges Latins & Universitez, la robbe courte des François. Combien que ie desire la mutuelle communication : estans lesdicts Colleges necessaires à ladicte robbe longue, utiles à la courte : L’ACADEMIE Françoise utile & convenable à tous hommes (hommes capables & desireux de raison & savoir) mesme ceux qui n’ont le temps, la commodité, volonté & inclination à longue etude : Nobles volontiers & ceux destinez à la suitte du Roy, aux armes, à la Chancellerie, finances, prattique, marchandise, arts & mestiers : (Non en profondité & recherche de perfection) à toutes sciences & exercices d’esprit : sauf & excepté la sacré Theologie. Mais ces particularitez de discours où [sic] seront remis à autre temps & lieu : ou vous en a esté faict ostension par les Quatre affiches, proposez [sic] en ceste ville & envoyez [sic] de ville à autre.
I’ay cause de m’esiouir & iacter en ma poursuitte & peine passée, & presque effacée par ce bel & eslevé appareil : pour servir de bon mets le publicq […]. De moy ie n’en ay eu onques peur ny soupson : voyant de toutes parts de tous estats qualitez conditions & aages, personnes si bien inspirez [sic] & parez de discours, prompts & habiles en subgects : que ceste inspiration d’esprit & habilité de nature, estant animée de science & aydée de sens aquis, tant soit peu que comme dans un an, il est d’evident espoir & iugement certain, qu’elles seroient au rang des sçavants, second du moins troisiesme ou quatriesme […]. Mais comme il estoit plus aysé anciennement d’estre sçavant, en leur langue naturelle & vulgaire : ainsi sera-il desormais par le bien de L’ACADEMIE du Roy : Certain, que rien n’alienoit plus du bon vouloir d’estude & reculoit du sçavoir : que la difficulté & longueur de la langue, plus au Quadruple & octuple que de la science mesme : au raport & conscience de tout maistre & professeur.
Apres l’œconomie proposée par parcelles en articles sommaires, & en consequence & suitte de l’invocation du Nom de Dieu & permission du Roy, puissants protecteurs du bien & dissipateurs du mal : nous implorions & implorons par humble requeste l’ayde & confort à cest œuvre & bien publicq de Nosseigneurs & Superieurs, Magistrats tant des Cours & souverains, que de ceste ville de Paris au Chatelet, Maison de Ville, & Université : Vouloir donner cest ayde, & telle continuer qu’ils ont faict depuis Quatre ans, à ceste ACADEMIE tenuë & exercée à leur veu sceu & gré : Requeste aussi & priere à messieurs nos cohabitans de France, concitoyens de Paris, compagnons d’estat profession & estude, proches & amis : ne nous vouloir poursuivre & vexer, ny souffrir, par envie & calumnie, double fleau de Vertu, annullement de sçavoir, destournement de bien faire : ains plustost nous prevenir avant dire & subvenir en oubliance & obmission, par raisons & moyens que vos prudences & esprits feconds en ceste tresgrande ville & tres fameuse Université, & sur ce beau tresriche & opulent subgect de langue & ACADEMIE Françoise vous pourront induire & ministrer […].
Mais tirons du faict des sciences au faict des armes : les deux de mesme raison, instructifs de la ieunesse, instruments au bon seminaire, soustenemens de la Republique, l’un & l’autre necessaire, les armes par contraincte, les sciences par utilité : Comme l’experience en faict assez de foy : Ainsi la necessité est distinguée par les Philosophes : Ainsi & à plus pres seroit accordé aux Conseillers & Empereurs du droict que les armes donnent la noblesse, les sciences quasi noblesse. Par les armes nous entendons le noble faict de Chevallerie & tout digne vertueux & convenable acte, propre à la suitte du Roy nostre Empereur & Monarque, pour son service en paix & en guerre : & à tout exercice (p. 8) du corps à tirer desdictes armes, voltiger, saulter, lucter, noüer, chasser, courir à la bague, combattre à la barriere : brief ce qui depend & est annexe au faict desdictes armes. Comme aussi les dependances & annexes des sciences & apres les arts liberaux compris les Mathematiques, l’Histoire choisie & l’excellente Poësie, les parties de Philosophie compris celle de bien vivre : La Politicque en l’art militaire, l’œconomicque & mesnage de maison : La Medecine de nostre temps : le Droict François nostre Profession. Lesdictes annexes, dis-ie, sont en exercices d’esprit compagnes des lettres & sciences, l’Escriture avec orthographe, la Musicque de voix & en instrumens convenables, la peinture […].
Nous les disons semblables sœurs & compagnes les armes & les sciences : concurrentes en liaison & embrassement du lierre à la muraille, representees or en la lettre H. premiere du nom de sa Magesté […].
Semblables disie de rechef les armes & sciences & de mesme raison, instructives de la ieunesse, subgectes à tradition & enseignement, reduisibles en reigles & preceptes. Car tout ce qui est bon à sçavoir, est bon à apprendre : & reciproquement ce qu’on apprend est pour sçavoir & mettre en experience […]. Veu mesme que nous ne naissons pas ouvriers maistres & experts : mais ou est par ressouvenance & reminiscence, ou observation diligente & laborieuse : ou comme par escriture sur la carthe blanche & impression en nos tendres & addonnez esprits, par nourriture & instruction : Laquelle derniere partie nous cherchons & traictons à present en ceste ACADEMIE & Escole Royale d’Institution, Platonicque d’excellence comme est nostre desir. L’enseignement est chose trescommune & manifeste aux lettres & sciences, & tant qu’il semble qu’elles seules doyvent estre enseignées. Mais non moins la chevalerie & les armes & ce qui en depend. Comment avancer un cheval & comme il faut le retenir, le tourner, brief le manier, dont est dict en Italien & en François, el managio, le maniage. Ainsi particulierement des autres, comme les maistres & professeurs gardent & s’apprestent à la compagnie : sinon qu’on pensast faire ces choses, suo Marte, sua arte : D’où est venu ce proverbe Latin : Chascung fist à sa mode & guise, à piquer chevaux, à tirer des armes : Comme à danser sans cadence, à voltiger & tout autre faict sans addresse. Qui est aussi de mesme à penser apprendre les sciences sans methode & facilité de voye, à quelle fin de l’instruction entiere & accomplie, de la ieunesse iusques aux filles parties de la Republicque, est faict ce traicté & mené l’affaire.
Et si bien aux siecles passez & soubs les Roys predecesseurs, nous n’appercevons point à certitude, y avoir eu en tous lesdits exercices enseignements & escoles publicques (qu’on a depuis eslevé du nom tres propre ACADEMIE :) pourtant regrettons le plustost & excusons l’obscurité & aucune rudesse du temps : Chascun estoit comme son maistre, son Mars, formoit son art & addresse : brief faisoit au moins mal qu’il pouvoit : au peril de l’honneur devant les dames, du chastiment devant l’Escuyer, de la vie en combatant, à la mode cy devant ordinaire des nouveaux soldats. Mais argumentons & inferons ainsi, si nos predecesseurs vaillants Françoys, renommez Gaulois, ont neantmoins sans instruction en ieunesse & d’escole si bien faict : les successeurs aydant Dieu le Roy & cest instrument d’instruction, feront de bien en mieux, de mieux en tresbien.
En ce lieu n’est à passer soubs silence la digne & Royale consideration en l’arrest du Conseil de sa Magesté de l’an 1594. fondamental de ceste ACADEMIE : Pour retenir le bien & honneur en France & empescher la ieunesse de sa Noblesse de n’estre contraincte se transporter és pays estrangers : (p. 9) Comme l’Italie souloit nous prester à noz grands frais, & devancer d’honneur en ces enseignemens & ACADEMIES.
Mais pour accelerer les autres parties & intentions de ceste harengue & oraison : Intentions diffuses & posees sur les loüanges de nostre Roy & des loüanges aux graces : Ce que les Poëtes anciens ont depeinct pour gouvernemens de Royaumes & Republicques en la double-droictiere Pallas, aux armes & sciences, à l’espee & au livre (Pallax Ambidextra.) Ce que [a fait] ledict instaurateur des lettres & sciences en toutes Langues François le Grand, en son hostel des Tournelles pres son fort & Chasteau de la Bastille : Lieu tres-propre, que partie de nous avons peu voir, quarante ans y a pour certaines causes desmoly.
Henry Quatriesme à present l’effectue l’experimente instituë & establit, durable & bien frequenté, Dieu aydant. Ce qui advient en lieu propre & tresbeau, le logis du petit Bourbon aux faulx-bourgs sainct Iacques grands & mieux advenants : au service & diligence d’un tres-humble & affectionné, tel quel à present Orateur, cy apres Agent & adiuteur. De là sont procedez devises, qui seront recitez en ceste compagnie, tres-digne de ce que nous sçavons de meilleur.
Ce corps peinct de Pallas & le vray corps de France,
Double-droictiers ils sont aux armes & science :
Les armes à grands frais vous sçavez soustenir,
La science pour peu vous plaise maintenir.
Ce quatrain est addressant au Roy & Nosseigneurs du Conseil, pour recommandation des lettres & sciences […].
Or faisant recherche & perquisition de toutes parts : plus digne aussi plus propre, ne peut estre trouvé ou choisi, que le nombre de Quatre ou Quaternaire, dit l’admirable : pour les desduire & expliquer par poinctz chefz & articles. Non à raporter pardevant vous longues & entrelassées periodes : comme ie ne doute & louë, quant à moy, des doctes anciens & receuz orateurs, que i’oy d’un nouveau soubris appeler discoureurs : peu de temps ouys pour la celerité d’apprehentions & crainte d’ennuy des esprits en ce siecle. Par ledict nombre ie promets que nous contemplerons en ung miroir & par une glace cristalline, la hauteur vertu l’entrée & destinée de sa Majesté […].
Mais c’est assez & longuement parlé. Aussi bien Messieurs nostre Roy tres-bon & tres-vigilant aux necessitez de son Royaume, bien & repos de ses subiects, aymant plus faire que dire & ouir, executer que parler […] : portant en une main la paix, & en l’autre la guerre […]. Paix embrassée par la Iustice : ornée par la science : enrichie de felicité & toutes quatres servies par L’ACADEMIE, pour l’instruction entiere & accomplie de la ieunesse, aux armes & en toutes sciences & langues : sa Majesté dis-je ne parle que de guerre, ne traicte que des armes : fait sonner les trompettes, battre les tambours. A la Majesté duquel à son honneur & plaisir, est dediée & recitée la presente harengue & oraison.
Ie la finiray donc : apres infinies graces & effectz de graces par mon tres-humble & affectionné service à sadicte Majesté pere de la patrie & à la patrie […].
FIN.
cela faict & bien receu par sa Maiesté Nosseigneurs & tous pour le general : A esté & sera procedé à l’essay, les Vendredy & Samedy prochains : Et à la tenue & exercice de ladicte Academie en tout debvoir & diligence possible, avec assiduité & sans intermission, le Lundy & autres iours consecutifs : (P. 10) par luy & autres, tant pour les sciences que le faict des armes, & suivant les reiglemens presentez en publicq aux autres trois precedentes propositions : Audict nom & ayde de Dieu.
A PARIS
Au petit Bourbon, logis de l’Academie
aux fauxbourgs sainct Iacques
FIN.
Avec permission à l’Auteur & deffences
à autres.
Notes
[1] Archives Biographiques Françaises, London, Saur 1988-1991, série I, 142, 223 ; G. de Soultrait, Notice historique et généalogique sur la famille de Bourgoing en Nivernois et à Paris, Lyon, Louis Perrin 1855, p. 14 ; ms. BnF, Cabinet de d’Hozier 60, Dossier “Le Bourgoing”, ff. 8 v, 28 v ; ms. BnF, Dossiers Bleus 124, Dossier “Bourgoing”, pièces 2, 14-17, 22-23 ; ms. BnF, Pièces Originales 469, Dossier “Bourgoing à Paris”, pièces 17-19 ; J. Bourgoing, De origine usu et ratione vulgarium vocum linguæ Gallicæ, Italicæ, & Hispanicæ […], Parisiis, ex Typographia Steph. Prevosteau 1583.
[2] D. de Flurance Rivault, Le Dessein d’une Academie, et de l’introduction d’icelle en la Cour..., Paris, Pierre Le Court 1612, en particulier ff. 13 v-14 r ; N. Legras, L’Académie Royale de Richelieu, a son Eminence, s.l., s.n. 1642. Voir aussi M. Bataillon, L’Académie de Richelieu, Indre-et-Loire, dans Pédagogues et juristes, Congrès du Centre d’Études Supérieures de la Renaissance de Tours (Tours, été 1960), Paris, Vrin 1963, pp. 255-270.
[3] Professeur en droit.
[4] Il s’agit du siège actuel de l’hôpital du Val-de-Grâce.
[5] Le 13 décembre, jour de la Sainte-Lucie.
[6] L’existence d’une université à Moulins n’est pas attestée.
[7] Il s’agit de Philippe Hurault, comte de Cheverny.
[8] Renaud de Beaune de Samblançay.
[9] Ces affiches n’ont malheureusement laissé aucune trace.
[10] Academia est aussi le nom du gymnase de Cicéron dans sa villa de Tuscolo. Voir Cicéron, De oratore, I, 98 ; Idem, Tusculanae disputationes, II, 9 ; Idem, Ad Atticum, I, 4.3 ; I, 9.2.