Certificat de la santé de la princesse Marie Leszczyńska, établi le 12 Mai 1725
Agnieszka Samsel (éd.)
Comment citer cette publication :
Agnieszka Samsel (éd.), Certificat de la santé de la princesse Marie Leszczyńska, établi le 12 Mai 1725, Paris, Cour de France.fr, 2009. Document inédit publié en ligne le 2 janvier 2009 (https://cour-de-france.fr/article782.html) dans le cadre du projet de recherche "La médecine à la cour de France".
Introduction
Depuis des siècles, toutes les dynasties du monde sont obligées de faire face au même problème : comment assurer la continuité de la famille sur le trône, non seulement d’un point de vue politique mais aussi en ce qui concerne la filiation, donc la procréation et l’état de santé.
Une situation très particulière en ce domaine eut lieu au début du règne de Louis XV. Ce jeune roi, pour assurer l’alliance et la paix entre la France et l’Espagne en 1720, fut obligé d’accepter la proposition du Philippe V d’Espagne de prendre la main de sa fille unique - l’Infante Marie-Anne-Victoire, née en 1718 [1]. Son jeune âge interdisait tout espoir de voir naître un dauphin avant une dizaine d’années. Cette situation ne posait pas de problème jusqu’au moment où Louis XV tomba gravement malade, en 1724 et puis encore une fois au début de l’année 1725. Suite à ces événements, le Conseil du Roi constata la nécessité, pour la France, d’un mariage rapide du roi, afin de donner un successeur à la couronne de lys.
Le secrétaire d’Etat des Affaires Etrangères, Fleurian de Morville, fut mandaté et prépara une liste d’une centaine de candidates, parmi lesquelles le Conseil devait choisir celle qui deviendrait la future reine de France. Le choix n’était pas facile, car il fallait respecter l’âge, la religion et surtout les priorités politiques du royaume. Les courtisans, aussi bien que le peuple de France et d’Europe, attendaient avec impatience la nouvelle. Bien avant qu’elle ne fût annoncée, le Conseil de Louis XV commença les négociations en Alsace, où vivait en exil le roi de Pologne Stanislas Leszczyński. Selon les documents relatifs à cet événement, Stanislas reçut deux lettres de Versailles dans la 1ère semaine du mois d’avril 1725 : la première avec une proposition de mariage pour sa fille unique Marie et la deuxième avec une demande de garder cette nouvelle secrète jusqu’à l’annonce officielle par Louis XV. Mais il était impossible de cacher les courriers qui circulaient entre Wissembourg et Versailles ; les rumeurs se répandirent vite. Selon les bruits, la princesse polonaise était : « sotte, scrofuleuse, épileptique, laide et de plus […] stérile » [2]. L’autre disait « qu’elle a deux doigts qui se tiennent et des humeurs froides » [3].
Pour écarter toute inquiétude sur l’état de santé de la princesse, le Conseil envoya en Alsace, avec l’accord du roi Stanislas, une équipe de médecins, dirigée par Mougue –médecin et inspecteur des hôpitaux du Roi, et Dûphenix – chirurgien de la cour de France, qui partirent pour Wissembourg pour examiner la princesse.
Leur rapport, daté du 12 mai 1725, est conservé aux Archives Nationales et certifie que Marie Leszczyńska était en parfaite santé [4]. En effet, les médecins déclarèrent « qu’Elle est bien conformée, ne paroissant aucune défectuosité dans Ses Epaules, ni dans Ses bras, dont les mouvements sont libres, sa dent saine, ses yeux vifs ».
Une dernière vérification concernait la capacité de la princesse à enfanter. Les médecins de Versailles prirent des renseignements auprès de Monsieur Kast [5], son médecin attitré, natif de Strasbourg. Ce dernier leur assura que Marie Leszczyńska était très bien réglée au niveau du son cycle menstruel : « ses règles d’une louable couleur, ne durant qu’autant qu’il est nécessaire ». (P. 2)
Ainsi rassurés, le Duc de Bourbon et le Conseil du Roi prirent la décision d’annuler le mariage avec la jeune Infante pour organiser l’union avec la princesse polonaise, âgée de 23 ans.
L’annonce de ce mariage, faite par le roi après la cérémonie du lever le 27 mai 1725, fut très mal reçue. Pour les Français, il s’agissait d’une mésalliance, et les critiques firent renaître des rumeurs sur la mauvaise santé de la princesse. Des chansons populaires en témoignent : « Le roi dans sa pochette… a un joli portait, d’une belle squelette », ou bien encore : « que l’on l’amène au roi, elle a les écrouelles, avant que d’être reine, le roi la touchera, et la guérira » [6].
Malgré cette hostilité générale, le mariage fut célébré et se déroulera à la satisfaction du roi et de ses conseillers. La princesse polonaise était en parfaite santé, vécut 65 ans et connut comme seule maladie des indispositions liées à sa gourmandise. Plus important encore, Marie Leszczyńska donna naissance à dix enfants [7]. Le certificat des médecins qui déclarait que la fille du roi Stanislas Leszczyński était en excellente santé et apte à procréer s’est donc trouvé fondé.
Certificat de la santé de la princesse Marie Leszczyńska [8], établi le 12 Mai 1725, à Wissembourg.
Nous soussignes, conform[é]ment aux
Ordres dont Son Altesse Serenissime nous
a honores, certifions nous etre transporté[s] à
la Cour de Sa Majesté Polonoise pour
prendre connoissance de la constitution de
Son Altesse Royale la Princesse Stanislas ;
de Sa Santé, ou de ses infirmités, Si Elle ;
etoit atteinte de quelque’une ; apres avoir
eu l’hon[n]eur de voir Son Altesse R.[oyale], examiné
Sa taille et Ses bras, le coloris de Son
visage et Ses yeux, nous declarons qu’Elle
est bien conformée, ne paroissant aucune
defectuosité dans Ses Epaules, ni dans Ses
bras, dont les mouvements sont libres, sa
dent saine, ses yeux vifs, son regard
marquant en meme temps beaucoup de douceur ;
A l’egard de sa santé, M[onsieu]r Kast, Son
medecin, natif de Strasbourg nous a declaré,
que depuis deux ans qu’il a lhon[n]eur d
etre à
la Cour, Elle n’a eu d’autres maladies que
quelques acces de fièvre intermittente en
deux differentes saisons, qui ont été terminés
chaque fois par une legèere purgation et un
regime.
La vie sédentaire de S. A. R. [Son Altesse Royale] et le
long espace de tem[p]s qu’Elle passe dans les
Eglises dans une situation contrainte, luy ont
(P. 3)
aussi causé quelque douleur dans les lombes,
produites par une serosite echapée des vaisseaux
gênes par la tension des fibres musculeuses,
laquelle serosité nous jugeons d’[ê]tre toute
extérieure la moindre friction ou le
mouvement la dissipant, de meme que la
chaleur, ce qui fait que pendent l’Eté elle
n’en a point été attaquée. Nous devons
ajouter qu’il nous a eté rapporté par le
dit S[ieu]r Kast que la Princesse est parfaitement
reglée, ses regles d’une louable couleur, et
ne durant quautant qu
il est necessaire.
On peut juger de la verité de ce fait par
Son coloris, qui quoique un peu alteré par les
derniers acces de fievre qu’elle a eu récemment
ne paroit cependant que tres legerement changé ;
la carnation etant naturelle et assez animée
pour juger de son retablissement et de la
regularité de ces mouvemants periodiques ;
En témoignage dequoy nous avons signé le
present certificat, ce 12e may 1725 à Wissembourg
Mougue
medecin inspecteur
des hopitaux du Roy
Dûphenix
Notes
[1] Le contrat du mariage fut signé à Madrid le 25 Novembre 1721. Mais, pour la cérémonie de fiançailles et la mise en place de sa maison à la cour de France il fallait attendre d’après les usages en vigueur que la jeune princesse ait 7 ans. Puisque le mariage ne fut pas consommé, il a été possible de l’annuler, avec l’accord du pape, en 1725. La petite Infante reprit le chemin de l’Espagne.
[2] M. Antoine, Louis XV, Fayard, Paris 1989, p. 155.
[3] G. Rochefoucauld, Marie Leczinska, femme de Louis XV, Les Livres Merveilleux, Monaco 1943, p. 43.
[4] Archives Nationales, Ms série « Monuments historiques », K 139b.
[5] Jean Christophe Kast (vers 1686 – 1754). Médecin ordinaire du roi Stanislaw Leszczyński.
[6] Voir A. Wyleżańska, Maria Leszczyńska na dworze wersalskim, Wydawnictwo Polskie, Poznań-Lwow 1923, p. 14 et Mercier G., Femmes des Lumières à la cour de Stanislas, La nuée bleue éditions de l’Est, Nancy 2004, p. 36.
[7] Madame Première : Marie Louise Elisabeth (14.08.1727 – 06.12.1759). Madame Seconde : Anne Henriette (14.08.1727 – 10.12.1752). Madame Troisième : Marie Louise (28.07.1728 – 19.02.1733). Dauphin Louis (04.09.1729 – 20.12.1765). Philippe, duc d’Anjou (30.08.1730 – 07.04.1733). Madame Quatrième puis troisième : Marie Adélaïde (23.03.1732 – 27.02.1800). Madame Quatrième : Victoire Louise Marie Thérèse (11.05.1733 – 07.06.1799). Madame Cinquième : Sophie Philippine Elisabeth Justine (27.07.1734 – 0203.1782). Madame Sixième : Thérèse Félicité (16.05.1736 – 28.09.1744). Madame Septième : Louise Marie (15.07.1737 – 23.12.1787).
[8] Archives Nationales, Monuments historiques, K 139b.