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Le compagnon sans mémoire

Françoise Michaud-Fréjaville

Françoise Michaud-Fréjaville, "Le compagnon sans mémoire", dans Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, année 2005, numéro 12, p. 101-111.

Extrait de l’article

« La plupart des chouses qui sont escrites oudit livre du Jouvencel, il les a faites et executees dont d’autres s’en sont donné la gloire de les avoir faictes », dit de Jean de Bueil un de ses serviteurs, Guillaume Tringant, qui avait assisté à la genèse et à la rédaction de l’ouvrage. Cette modestie de l’amiral, nous pouvons la discuter en notant que sa mémoire fut parfois sélective, et que la transmutation des souvenirs en roman s’est accompagnée de quelques fâcheuses lacunes. Ces absences se sont non seulement traduites dans son récit mais aussi dans quelques prises de positions politiques – ses participations à la Praguerie et à la guerre du Bien Public sont en contradiction avec ses discours sur la fidélité au Roi – et dans son abstention lors du procès en nullité de la condamnation de Jeanne d’Arc. C’est cette distorsion entre les souvenirs embellis ou réduits, de toute façon réécrits, et la réalité historique que je tenterai d’éclairer un peu ici.

Dans Le Jouvencel, récit autobiographique à peine déguisé, dont les clefs ont été presque immédiatement données par Tringant, l’amiral, déjà âgé – il a une soixantaine d’années – évoque sa jeunesse, sa carrière, ses compagnons d’armes ; il rend hommage en particulier à Dunois, le bâtard d’Orléans, et Jean, duc d’Alençon dont il fait dans son texte un seul personnage, sous le nom du comte de Parvenchères. On peut alors se demander pourquoi, parvenu à un âge de sagesse, couvert de gloire après les campagnes menées pour Charles VII le « Victorieux » et n’ayant pas craint de manifester au cours de son existence quelques capacités d’indépendance d’esprit, il n’a pas fait entrer dans son récit une « preuse » qui eût ajouté encore du romanesque et fait revenir en mémoire aux lecteurs l’histoire de la Pucelle d’Orléans. Plus intimement, la lecture de cette évocation tronquée permettra peut-être de comprendre les raisons pour lesquelles il n’a pas associé en 1456 son témoignage lors des enquêtes de réhabilitation à ceux de Dunois, de Jean d’Alençon et de Raoul de Gaucourt, ses maîtres en matière militaire, les éducateurs de sa jeunesse armée et aventureuse.

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