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Le couple, entre faits et droit : la nullité du mariage de René II de Lorraine et Jeanne d’Harcourt

Stéphanie Richard

Richard, Stéphanie. « Le couple, entre faits et droit : la nullité du mariage de René II de Lorraine et Jeanne d’Harcourt », Le Moyen Age, vol. cxxii, no. 3, 2016, p. 567-626.

Extrait de l’article

Le Journal de Jean Aubrion nous livre, pour l’année 1485, la réflexion suivante :

"Item, en ycelle année, advint une chose dont plusieurs gens furent bien merveilleux. Car monseigneur de Lorenne, lequel avoit espousés la fille du conte de Tancreville, pourtant qu’elle estoit petite et auleument difforme, le dit duc envoiait à Rome pour luy despartir d’elle, et prendre une aultre femme ; ce qu’on n’avoit jamais veu. Car ilz avoient esteit plus de xv ans en mariaige enssamble ; et fut aucuneffois nouvelle qu’elle estoit einssinte d’ainfant ; et n’avoit on jamais veu que ung mariaige se puist séparer ne divorcer pour remarier l’une des parties. Touteffois la chose fut tellement faicte qu’elle fut passée, et furent despartis ; mais ce ne fut pas bien par le grey de la duchesse, comme aulcuns disoient. Et se remariait le dit duc, et print à femme la fille du duc de Guelre, que alors estoit hors de son pays, et résidant à la court de France".

Ce passage fait référence à la nullité du mariage de René II de Lorraine et de Jeanne d’Harcourt pour impuissance de cette dernière ; il traduit clairement la désapprobation de l’auteur vis-à-vis des processus ayant conduit un tribunal ecclésiastique à déclarer, le 9 août 1485, que les liens matrimoniaux unissant ces deux conjoints n’ont en réalité jamais existé – permettant par là même au duc de prendre rapidement une nouvelle épouse en la personne de Philippe de Gueldre. L’avis sévère du bourgeois messin est évidemment à mettre en perspective : au bas Moyen Âge, les ducs de Lorraine (y compris René II lui-même) et la ville de Metz, indépendante du duché, se sont fréquemment opposés dans des conflits armés. Cet extrait, néanmoins, reflète également chez l’auteur l’intériorisation du principe d’indissolubilité du lien matrimonial (n’avoit on jamais veu que ung mariaige se puist séparer ne divorcer pour remarier l’une des parties) affirmé dans la doctrine classique du mariage forgée dès le XIIe siècle sous l’action de l’Église.

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